Dix ans déjà que l’on avait plus eu entre les mains un roman de Jonathan Safran Foer, l’auteur d’Extremement fort et incroyablement près. C’est long dix ans, mais en même temps on savoure davantage le bonheur d’avoir aujourd’hui, entre nos mains, son dernier roman, pavé de plus de 700 pages, qui nous chavire de plaisir.
Me voici, le titre du livre, ce sont les mots prononcés par Abraham dans la bible, comme réponse à Dieu et à son fils, juste avant de s’apprêter à sacrifier son fils comme lui demande Dieu. Me voici, c’est aussi l’histoire d’une famille juive qui vit aux Etats-Unis, celle de Jacob et Julia, autour de leurs trois enfants. Tout semble aller pour le mieux pour cette gentille petite famille de la classe moyenne américaine jusqu’à la convocation au lycée des parents car leur fils ainé, Sam, âgé de treize ans, a écrit des insanités et des insultes sur une feuille de papier pendant le cours du rabbin. Avec cet évènement, la Bar-Mitsva du fiston s’avère devenir compliquée. Au même moment, Julia découvre que son mari Jacob échange avec une de ses collègues des messages pornographiques depuis plusieurs mois. Jacob possède un second téléphone portable qu’il cache dans des endroits improbables de la maison pour envoyer des messages à sa collègue. Le couple s’effrite, le divorce s’envisage. Jacob n’est pas l’unique responsable de l’échec de leur couple. Julia aussi, trompe son mari avec un ami du couple. Dans la même période, un terrible tremblement de terre frappe durement le Moyen-Orient, entraînant un conflit géopolitique menaçant l’intégrité et la survie d’Israël, qui se décide alors à appeler au secours sa diaspora. Se mêlent alors dans le dernier livre de Jonathan Safran Foer l’intime et le politique de façon extraordinaire.
Jacob se retrouve perdu, au milieu de se femme, de ses enfants, de sa judaïté, de ses ancêtres et de son identité. Il n’arrive plus à se positionner dans sa vie. Est-il amant ? Est-il parent ? Est-il américain ? Est-il juif ? Est-il laïc ? Est-il religieux ? Tout est compliqué pour lui. Il doit constamment faire des choix et les assumer. Sa vie est faite de choix, qu’il doit faire alors que son couple se disloque en même temps que le Moyen-Orient.
Le moins que l’on puisse dire concernant Jonathan Safran Foer est qu’il sait varier et manier avec génie les registres. C’est là l’un des immenses talents de ce livre. Le drôle et le triste se côtoient merveilleusement bien dans le livre. Me voici est un livre extrêmement drôle, qui vous fera sourire très souvent. Les dialogues, qui sont très nombreux (qui font aussi que le livre se lit assez rapidement malgré les 700 pages) sont savoureux. On rit des discussions du père et de ses enfants, de la mauvaise foi du père aussi, au début du livre, quand il tente devant le rabbin d’expliquer que son fils n’a pas pu écrire les injures dont on l’accuse. On rit aussi des points de vue du grand père et de sa mauvaise foi aussi. Les personnages aussi sont drôles dans ce livre, notamment les trois enfants, chacun différemment. Il y a l’ainé, spécialiste des Echecs et fasciné par la violence ; le second avec déjà son opinion qu’il n’hésite pas à donner et son rapport particulier avec le vieux chien Argos et le dernier qui n’a pas peur de mourir à condition que cela soit en même temps que les siens. Il y a la façon de vivre de cette famille aussi, un peu caricatural, qui mange sain, les rapports entretenus entre eux qui sont succulents.
On s’émeut aussi, de nombreuses fois, quand les pages et les propos s’emplissent de tristesse, rompant avec toutes les pages drôles. Il y a ce couple qui s’effrite devant nos yeux, alors qu’ils s’aiment, ce grand père de mauvaise foi qui meurent, après tout ce qu’il a vécu et même le vieux chien, Argos, qui devient l’objet de très belles pages, à la toute fin du livre, pour savoir s’il faut l’euthanasier ou pas.
Jonathan Safran Foer manie aussi les registres de langue, alternant les différents types de discours, les sextos envoyés à la collègue qui d’ailleurs choquent Julia, les dialogues sur internet et aussi des passages superbement écrits, comme Jonathan Safran Foer sait les écrire.
On se pose beaucoup de questions quand on se lit se livre ; on ne comprend pas bien pourquoi leur couple, vieux de seize ans, ne fonctionne plus. Le livre joue sur cette ambiguïté en ayant un coté un peu désespérant qui fait réfléchir ; celui qui laisserait penser que le mariage aurait une durée de vie limitée. Pour que le couple perdure, il doit savoir se réinventer et eux, n’ont pas su la faire nous explique Jonathan Safran Foer. Jacob est un peu lâche, Julia est indécise, on en vient au fil du livre à sympathiser avec eux, on les excuse aussi, ne sachant pas quoi faire pour eux. Ce roman de Jonathan Safarn Foer est nourri de sa relation et de son divorce avec Nicola Krauss, l’auteur des superbes livres la grande bibliothèque et l’histoire de l’amour (que je vous conseille vivement au passage), la mère de ses enfants. Ses expériences personnelles, même si Me voici n’st pas une autobiographie, donnent une dimension extrêmement réaliste à son livre.
Lire l’histoire de ce père se retrouvant au milieu d’une famille au bord de l’impulsion s’avère être au final, tout simplement jubilatoire. La narration faite par Jonathan Safran Foer des névroses de la famille Bloch nous tient en haleine tout au long du livre, engloutissant rapidement les 700 pages du livre sans vraiment s’en rendre compte.
Me voici est donc un excellent roman, une magnifique satire familiale, aimante et empathique, celle d’un auteur américain bourré de talent, fils caché de Philip Roth (que j’adore), qui écrit des livres que Woody Allen pourrait parfaitement réaliser, lui qui aime tant les histoires de famille. |