Au Musée Maillol, l'exposition "Pop Art - Icons that matter"
conçue par le Whitney Museum of American Art, New-York sous le commissariat de
David Breslin et Carrie Springer, respectivement conservateur et directeur de collection de la famille DeMartini et conservatrice adjointe audit musée, propose un épatant "artistic digest" du Pop Art.
En effet,
placé sous une gestion exemplaire du panorama avec un florilège de 24 artistes majeurs et le souci du didactisme, avec de nombreux et conséquents cartels, le "Top du Pop" est présenté en soixante-cinq oeuvres. Déployées en six sections analytiques composées de stations
monographiques, elles mettent en évidence l'hétérogénéité et l'ambivalence du popisme dans une traversée lisible d'une page de l'Histoire de l'Art américain.
Icons matter : De Lichtenstein à Warhol, du roi au pape du Pop, tout ce que vous avez voulu savoir sur le Popisme
Dans les années 1950, la résistance s'organise contre la suprématie de l'expressionnisme abstrait avec un retour à la figuration qui se déploie aux Etats Unis sous une forme nationale baptisée Pop Art qui se positionne également en opposition avec la tradition picturale considérée comme élitaire.
Sa spécificité tient à ce que ce mouvement protéiforme est intimement lié au contexte étasunien, celui de l'American way of life pour lequel il constitue, ainsi que le précise la commissaire Carrie Springer, "une réponse authentique à une situation historique".
Ses fondamentaux tiennent à son ancrage dans la culture de masse populaire, caractérisée notamment par le consumérisme, une culture de parc d'attractions et une appétence pour les icônes profanes, le recours au graphisme utilisé par les mass médias, de la publicité aux comics, l'esthétique du "hard-edge" avec des aplats de couleur pour simuler la bidimensionnalité, l'exécution mécanique et la fictionnalisation du réel ordinaire, une sorte de "normcore" artistique, à la sauce du sentimentalisme soap.
Même s'il ne s'agit pas d'un art de la transcendance, les artistes pop naviguent du divertissement au cynisme en passant par la satire socio-politique et, en premier de cordée, Roy Liechtenstein qui connaît ses Maîtres et procède à une réinterprétation contemporaine des images en déclinant les motifs à sa "sauce" façon sérigraphie ("Girl in Window" de la peinture flamande ou le "Gold Fish Bowl" matissien) ouvre la marche d'un défilé qui se déroule sur deux niveaux white cube avec en vigie le "The bus station" de George Segal.
Suivent des tableaux grands comme des panneaux publicitaires et des sculptures-installation monumentales
consacrant la banalité ordinaire et triviale des addictions tels les mégots ("Giant Fagends") et les frites-ketchup ("French Fries and Ketchup") de Claes Oldenburg
Ainsi que les "tableaux urbains" de James Rosenquist ("Broome Street Trucks after Herman") et Edward Ruscha ("Large Trademark with Eight Spotlights Melville" qui figent un environnement essentiellement marchand et superficiel dans lequel l'individu dépersonnalisé est réduit à sa fonction de consommateur.
Et surtout la femme, cible première de la publicité dans les deux sens du terme, comme consommatrice et comme marchandise. Car les années 1970 sont celles de la révolution sexuelle et de l’émancipation d’un corps réprimé sous le joug d’une culture puritaine qui impacte notamment la condition féminine d'un double effet pervers, celui de l'objetivation du corps et la marchandisation de la chair.
Avec notamment, du "vulgaire" au "porno chic", l'asservissement à la libido et au fantasme hétérosexuel masculin véhiculés par la publicité épinglés par Tom Wesselmann ("Great American Nude #57"), Roy Schnackenberg (The morocycle") et Mel Ramos ("Tobacco Rhoda").
Les artistes proto-féministes et les feministes militantes s'y attaquent résolument Christina Ramberg ("Istrian River Lady") avec ses corps-troncs "ligotés" par les signes sexuels
de l'érotisme imagier
qui conduisent à l'oppression des femmes jusqu'à l'extême avec Rosalyn Drexler ("Marilyn pursued by death").
De même May Stevens avec son personnage polysémique de Big Daddy, figure emblématique de l'américain "wasp", symbole de l'autoritarisme paternel et de la domination masculine ("Triple Daddy Blue") ainsi que de l'impérialisme américain dont John Wesley Balhans fustige l'institution militaire ("Priscilla the Hun", "American Expeditionnay Forces", "General", "Compleat Fritz", "Shoot him") en l'infantilisant.
A la dialectique "maman ou putain", le Pop Art ajoute une troisième voie celle de l'iconification profane car les hommes ont besoin de nouvelles idoles fédératrices. Ainsi la "Madonna and child" de Allan D'Arcangelo avec la silhouette reconnaissable de Jackie Kennedy.
Le chantre de cette pratique est naturellement Andy Warhol qui clôt légitimement la (dé)monstration par son art du portrait dans ses encres sérigraphiques, le "Beautiful People" des stars hollywoodiennes comme Marilyn Monroe ("Marilyn") aux personnalités dont Jackie Kennedy ("Nine Jackies").
Et elles côtoient des oeuvres inscrites dans l'actualité de son temps telles son "Electric chair", à double sens, image létale comme allégorie de la mort, un de ses thèmes récurrents, réalisée dans le contexte du mouvement de protestation contre la peine de mort des années 1960 tout comme "Before and after, 4" sur le désir de perfection et de conformité avec les diktats sociétaux véhiculés par les médias qui créent, ou, pour le moins, relaient les dérives de la société de l'image..
A l'affiche donc, les "must" avec également, entre autres, Robert Rauschenberg, Jasper Johns et Jim Dine
pour une passionnante et édifiante immersion dans le Pop américain.
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