Godspeed You! Black Emperor – GYBE
GYBE est le fer, GYBE est le feu, forgé fondu, dégoulinant, rougeoyant à pleine gorge déployée, au rire d'acier acide tordu, métaux entortillés, s'étirant aux cieux. GYBE a la densité noire d'un trou sans fond, cosmique, universelle, comète surhumaine, revenue, silhouette, de toutes les idoles, les dieux faux, fous et morts ou ressuscités. GYBE, l'hyperbolique, est un monstre venu d'une cité engloutie, mystérieuse, d'or et de cendre, léviathan, mystique mortel, au sang froid, caillé de date longue. Et pourtant, derrière ses yeux noirs, fous fauves, vides, GYBE est une lueur – l'espoir ?
Si quelques visages ont changé, dans l'obscurité, si le violoncelle n'est jamais reparu, sur scène rien n'a vraiment changé. Dès la première seconde. Ce bourdonnement sourd, qui gonfle. Ces silhouettes noires, sur le fond noir d'une scène muette. On s'agite, sans que cela ne ressemble à des musiciens. Simulacres au fond de la caverne. GYBE n'a rien à dire. Et ne dit d'ailleurs rien. Puis une lumière, des images, répétitives, folles, emmêlées. Familières, depuis toutes ces années. Les projections évocatrices, images-langage pour parler mieux qu'avec les mots, sur ces torrents de sons évocateurs, pour hurler mieux qu'avec les mots. Comme une clameur, qui enfle puis crève. L'indignation. La colère. L'injustice. La guerre. L'oppression. Des images, à voir et à entendre ; mieux que des mots, mieux que des armes.
Retour à la Condition Publique. Quelques années après un premier retour, qui mettait fin à un hiatus de près de dix années, après une seconde date, à l'Aéronef. GYBE devient un habitué de la scène de la métropole lilloise. Le public se presse. Mais cette fois, GYBE n'a plus à jouer le come-back, n'a plus à convaincre de sa bonne foi, de son authenticité, de son identité. À l'heure où d'autres se perdent dans les facilités de la production facile, de l'auto-citation, de l'auto-plagiat, GYBE continue simplement d'écrire l'histoire de son acte deux. Les seuls déçus sont ceux qui s'attendaient, probablement, à plus de facilités. GYBE n'est pas planant, n'est pas Pink Floyd ; n'est pas Mogwai, pour s'apprêter à faire la tournée des Zénith ou à débarquer dans le karaoké de votre quartier.
Luciferian Towers, troisième opus post come-back, s'inscrit dans la droite lignée des deux précédents, Allelujah ! Don't Bend Ascend et Asunder, Sweet and Other Distress. Quelque chose de plus lourd, pachydermique, de plus abstrait, que les œuvres plus anciennes. Une poésie au napalm.
Sur scène, ce sont ces sonorités-là que le groupe a défendu, rangé des fragilités de ses origines, de toute tentative de joliesse et même de la tentation de l'harmonie. Seule exception à cette setlist des heures récentes, l'excellent "Sad Mafioso", fragment central du "Dead Metheny" du premier album, l'excellent f#a#?.
En première partie, la jeune saxophoniste norvégienne Mette Rasmussen aura livré une prestation courageuse d'exploration des possibilités sonores de son instrument. Mais l'expérimentation n'aura guère convaincu. Le public était là pour entendre de la musique.
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