La Maison de Victor Hugo à Paris propose avec "La Folie en tête... aux racines de l'art brut" une excellente et très ciblée exposition consacrée à l'art brut dans son acception originelle qui revient aux fondamentaux en un temps où celui-ci est intégré dans la nébuleuse en vogue des arts dits "outsiders".
En effet, l'art brut contemporain est principalement pratiqué par des artistes formé aux beaux arts qui s'inspirent des pratiquent des oeuvres et thématiques qui innervent l'"art des fous", celui des personnes internées dans des hôpitaux psychiatriques dès le 18ème siècle, suite à la qualification fameuse de Jean Dubuffet au milieu du 20ème siècle.
Gérard Audinet, directeur du lieu, et Barbara Safarova, présidente de l’Association abcd dédiée à l'art brut en charge de la collection Bruno Decharme et directrice de programme au Collège International de Philosophie, ont choisi de présenter les oeuvres réalisées au début du 20ème siècle dans le cadre d'institutions psychiatriques considérées comme pilotes en leur temps et dirigées par des thérapeutes par ailleurs amateurs d'art et collectionneurs qui ont favorisé la pratique artistique
qui sera qualifiée d'art-thérapie dans les années 1950.
Ainsi on été constituées des collections européennes emblématiques qui scandent de manière chronologique l'art psychopathologique de 1830 à 1945
dans laquelle les commissaires ont puisé pour concevoir judicieusement une monstration qui évite tant le didactisme que la pédanterie en ne procédant ni à des appariements esthétiques ni à des récurrences selon la pathologie
potentielle des malades.
L'art des fous, du fou devenu artiste à l'artiste devenu fou En effet, chaque collection - la collection du Dr Browne au Crichton Royal Hospital, celle du Dr Auguste Marie qui a officié à l'Asile de Villejuif et à l’Asile-clinique de Sainte-Anne,
celle du Dr Walter Morgenthaler directeur de l'Asile de la Waldau en Suisse
et la collection dite Hanz Prinzhorn à l'Hôpital psychiatrique de l’Université de Heidelberg
- fait l'objet d'une section spécifique.
Et le scénographe Alexis Patras a réussi la prouesse de la mise en valeur, dans les pièces d'habitation converties en salles muséales, d'une production essentiellement graphique, hors les malades venant d'un milieu aisé, les autres ne disposaient que d'un matériel réduit à un crayon à papier par moi et à des feuilles de papier.
Ce choix
s'avère judicieux car il sollicite tant la curiosité que l'imaginaire et la réflexion de tout visiteur selon sa sensibilité et son background culturel, du néophyte à l'amateur éclairé.
Ainsi se révèlent, avec en filigrane l'histoire de la psychiatrie avec une des phases de son évolution quand, à l'exclusion sociale par la mise à l'écart d'abord dans la prison puis dans des asiles-mouroirs, a succédé dès le milieu du 19ème siècle une approche thérapeutique dispensée dans des institutions spécialisées et les prémisses de l'art-thérapie, des intérêts multiples.
D'une part, est dressé un large panorama en termes de maîtrise technique et de qualité esthétique selon le vécu du malade, du gribouillis enfantin du Latiniste aux oeuvres du Voyageur français qui était décorateur et hybride deux univers, le paysage et le motif décoratif, en passant par la griffonnage désordonné non-figuratif et la reproduction de motifs livresques par l'universitaire Emile Josome Hodinos.
D'autre part, l'art des fous résiste à la typologie tant les profils diffèrent, car si des fous deviennent artistes, des artistes sombrent dans la folie comme la peintre expressionniste Else Bankerhorn, ce qui alimente la dialectique art/génie/folie qui, dans sa dérive, a alimenté l'entreprise de "purification de l'art" mené par le IIIème Reich qui, en l'occurrence, s'accompagnait de l'euthanasie des aliénés come ce fut le cas pour Franz Karl Bühler qui avait enseigné à l'Ecole des Arts Appliqués de Strasbourg avant son internement.
Tout comme leur production notamment parce que si certains sont connus, et parfois même célèbres et de leur vivant.
Tel Adolf Woltfli qui s'invente une vie épique en s'érigeant en figure fictionnelle inspirée de son saint patron, la plupart sont à jamais anonymes tout comme August Klett qui crée sa propre cosmogonie.
De plus, ces oeuvres résultent de tant de création spontanée, souvent sur un thème obsessionnel, du mysticisme d'Emile Jacob à l'érotomanie saphique de Oskar Buttikofer, que de créations dirigées visant à la pratique du dessin par la reproduction de dessins,gravures ou illustrations comme avec Josef Askew.
Néanmoins chacune constitue l'émanation d'un univers unique dont celui qui regarde tente de percer le mystère notamment quant elle ressort d'une registre non figuratif et, paradoxalement, certains initient une mise en résonance avec les mouvements de l'art moderne et de l'art contemporain. |