Comédie dramatique de Falk Richter, mise en scène de Vincent Dussart, avec Xavier Czapla, Patrice Gallet et Stéphane Szestak.
Inspiré du documentaire "Grow or Go" sur les motivations intimes de consultants réalisé en 2003 par Marc Bauder, "Sous la glace" du dramaturge allemand Falk Richter se présente comme une fable moderne atypique qui narre l'histoire de Jean Personne, déclinaison post-moderne du Jean la Chance brechtien, sur le mode de l'hybridation de la satire socio-economico-politique et de la dystopie. La satire concerne les principes abscons du management, héritier des novations du 20ème siècle engendré par le primat de l'économie et de l'ultralibéralisme qui ont engendré la démocratie de marché, le consumérisme comme fin en soi et la financiarisation, et dont les paradigmes ont contaminé tant les théories des organisations que les idéologies occidentales. Falk Richter développe cette doxa, dans le microcosme du consulting, avatar de la technocratie, avec deux jeunes loups (Patrice Gallet et Stéphane Szestak) qui se livrent à une joute oratoire consistant à prouver leur maîtrise des concepts nébuleux qui soutiennent les stratégies entrepreneuriales résumées par le titre du film précité. Et, surtout, à la mise à mort du collègue (Xavier Czapla), dont par ailleurs la relation au monde est problématique depuis l'enfance, et qui, à la quarantaine, arrive à son stade d'obsolescence programmée. A terme, celle-ci, calquée sur la date limite de consommation des produits de consommation, voue à la mort l'homme qui n'a pas su l'anticiper pour renoncer et, peut-être, rebondir ailleurs, et même, à terme, à l'extinction de l'humanité à la suite d'une nouvelle ère glaciaire qui signerait, en l'absence de nouveau messie, le règne des objets et des machines. Avec sagacité, Vincent Dussart met en scène l'opus dans une scénographie ultra-minimaliste de Frédéric Cheli, un plateau nu à l'exception d'un gigantesque totem polysémique en forme d'un ours blanc évocateur de l'objet transitionnel, signifiant le vide correspondant à un "non-lieu" pou le moins glaçant et angoissant. A la quête de d'identité et de sens de l'homme seul qui sombre répond la litanie biomécanique de clones duettistes et la rythmique lobotomisante du discours, qu'en l'occurrence Vincent Dussart double d'une gestuelle répétitive décalée, qui exigent des interprètes du théâtre de paroles richterien une exigeante virtuosité.
Et il a judicieusement choisi, pour clore cet oratorio rétrofuturiste sans happy end, la chanson "Cold song" avec son "Let me freeze again to death", revisite par Klaus Nomi, aka Klaus Sperber chanteur d'opéra à la tessiture de contre-ténor, météorite new wave du début des années 1980, d'un extrait opératique du "King Arthur" de Henry Purcell. Une excellente proposition de la Compagnie L'Arcade. |