Mojave 3 est né des ruines du shoegazing (Slowdive) pour défendre un songwriting beaucoup plus classique. Leur parcours les arrache donc au mouvement le plus marquant du début des années 90 outremanche (MBV, Ride, le label Creation tout ça…) pour couper tous les ponts avec leurs époques : les disques de Mojave 3 sont en effet curieusement intemporels et c’est sans doute pour cela qu’on rappelle à leur sujet la mémoire de Nick Drake, et comme d’habitude cette référence "tarte à la crème" est assez capillotractée.
Certes on retrouve ce romantisme désuet, une recherche d’arrangements inspirés et anti-pompier, une virtuosité pas tape à l’œil et exempte de vulgarité musicale. Mojave 3 n’est donc pas un groupe dans le coup qu’on entend facilement et qui peut bénéficier d’un buzz dont les magazines spécialisés ont le secret.
Avec un titre pataphysicien Spoon and Rafter (une "cuillère et chevron" en forme de "bientôt et après") et des titres loin du tube radio : de véritables popsongs de près de 10 minutes sans artifice et sans refrain clairement définis. En fin de compte on retrouve bien des shoegazers avec les amplis éteints, donc forcemment pas le gros son distinctif mais tout de même un temps qui s’allonge en restant dans un format pop raisonnablement sautillant.
On arrête donc de regarder ses pieds (et les pédales d’effets vombrissants qui vont avec) mais on se regarde plutôt furieusement le nombril, presque fier d’avoir plusieurs trains de retard sur les combos anglais du moment (en même temps il n’est pas faux de noter que l’on a rarement vu l’Angleterre aussi décevante dans ses nouvelles propositions, la réaction aux wagons de groupes américains ou en "The" a du mal à passer… enfin ce que j’en dis…). Neil Halstead ne souffre donc d’aucun complexe dans ses compositions osées, même peut être une sorte d’arrogance à imaginer les auditeurs s’ennuyer dans son univers, l’ennui fait en effet partie de la grâce classieuse des morceaux du disque (encore plus qu’avant).
On navigue ainsi dans un univers totalement balisé qui synthétise assez bien toute l’art du songwriting anglais depuis le début de la pop, et la musique balance ainsi sans heurt d’un Spiritualized que l’on a rêvé serein ou à un Beach Boys ému de son audace, tout dans la nuance et le clin d’œil. On reconnaît ainsi une certaine classe de défendre des perles invendables comme "Battle of the Brocken Hearts" qui assume le coté répétitif des émotions contradictoires de la vie (spleen, extase, joie, frustration et on boucle) supportant une forme très anglaise de cynisme comme pouvait le faire Blur en décriant les mœurs anglaises dans Parklife ou Sunday Sunday.
Il utilise ainsi les stéréotypes musicaux pour établir une grammaire personnelle authentique. Il y a aussi quelques titres diffusables en radio (enfin je veux dire de moins de quatre minutes) qui mettent bien en valeur une différence entre la chanson anglaise et la chanson française, on n’entendra jamais (pour des raisons diverses dont on se fiche un peu) de ce côté ci du channel exposer une telle vulnérabilité non contrebalancée par le poids résiduel de l’ego, ne serait ce que par le chant, et ainsi "Hard to miss you" baigne dans l’univers nombrilliste de toute la pop music (des chansons qui parlent essentiellement de cœurs brisés comme disait Nick Hornby) mais sans un pathos outrancier ou effet de style qui peut le rendre grotesque.
Cette pudeur est totalement incroyable dans un groupe de musique et fait la partie primordiale du charme difficile de Mojave 3, car il faut accepter de rentrer dans ces constructions cotonneuses et élaborées dans la nuance qui peuvent donner rapidement une fausse impression.
C’est à mon avis la meilleure occasion d’écouter de la musique qui offre une ambition totalement miraculeuse et inédite hors de "l’industrie musicale" qu’on veut nous refiler de force, hors du temps et des soucis des combos de guitaristes sous hormones, ce Spoon and Rafter étourdissant de justesse, sans avoir la vulgarité d’être addictif, n’apparaîtra sans doute pas dans les charts ou les listes de fin d’année, mais pourrait très bien devenir un secret bien gardé au fond de votre discothèque.
Ceci dit entre nous.