Bleu jane
(Simone Records / Ici d'Ailleurs) mars 2018
Des sifflements, un halètement, une envie pressante, l’urgence de la fuite, et des orgues… titanesques vecteurs d’angoisse, les associations d’instruments de Julien Sagot plantent un décor brumeux, peuplé de monstres sanguinaires et d’ectoplasmes cachés sous le lit, qui vont te manger tout cru, évidemment.
L’album s’intitule Bleu Jane, et c’est la troisième aventure de ce musicien passionné de percussions, lauréat du prix Polaris 2010 du meilleur album canadien, et autodidacte. Rien que ça.
Sa voix suave a très certainement abusé de propolis pour tromper les petits cabris que nous sommes, et si vous n’écoutez pas maman et ouvrez la porte à ce carnivore aux belles manières, vous ne serez pas déçu. "Force est de quitter la nuit tombée / vive lumière ombres portées / Elles jouent comme des enfants / Elles courent sans arrêt / se briser" ("Ombres portées").
Serpent à sonnettes et buissons traversent la plaine, balayée par un vent de sable aussi beau qu’impitoyablement sauvage. Et c’est ce qu’on aime chez Julien Sagot, cette manière de parler à notre instinct, mieux que Johnny D qui se sépare de sa caillasse dans un désert reconnu.
Les accords se fragmentent autour des cordes, les notes se détachent les unes des autres comme atomisées par une puissance qui les dépasse, et l’énergie produite se diffuse en une multitude d’instants télescopés d’un même souffle sous vos yeux. Vous ne sortirez pas indemne de l’expérience, mais vous entendrez cet imperceptible battement que vous vous tuez à oublier, c’est la vie qui saille dans "Bleu Jane".
Il est des textes qui se passent de commentaire : "Un endroit frais / où des lions des heroes / s’ankylosent à l’attention / sensibles à l’affection / suivant les petits ponts de bois / sous le regard éperdu des rennes / qui survivent dans ces marais / leur panache à la traîne / derrière des vitres en plexiglas / suivant les petits ponts de bois / regarde ce crocodile nourri à la guimauve / Arrête de suivre comme un chien / comme le chien des autres" ("Autour des œuvres de Exing Saông").
Epoustouflant de mystère, cachant des tentacules ensorcelées dans chaque coin de piste, Julien Sagot nous emmène là où ne reste de limites que celles que nous n’avons pas encore brisées. Bleu Jane est formidable de rêveries et de cauchemars, lancinant et électrique, l’album est un tableau dans lequel on plonge allègrement pour se raconter des histoires psychédéliques, avec des bulles et des paillettes gluantes. Atomique.