Comédie écrite et mise en scène par Valérie Durin, avec Lionel Muzin et Valérie Durin.
Après le négriat littéraire abordé avec la polémique sur Corneille auteur de pièces attribuées à Molière qui lui a inspiré "L'Arrangement", Valérie Durin aborde dans une partition intitulée avec un malicieux jeux de mot mathématique "Racine²" le thème de l'écriture sous prête-nom au 17ème siècle.
En effet, elle s'inspire d'un autre pavé lancé dans la mare du théâtre classique, l'analyse lexicale d'un chercheur au CNRS étayant la thèse de l'écriture sous prête-nom de Racine, alors tenu à un devoir de réserve après sa nomination à la haute charge d'historiographe du Roi, et notamment celui de Jean Galbert de Campistron qui fut son élève.
Valérie Durin place son intrigue en l'an 1787 alors que Racine est à l'apogée d'une réussite qui récompense une stratégie sans faille : il est le grand écrivain tragique qui, de surcroît, a évincé Corneille, un homme établi par un mariage de raison et un courtisan qui, grâce à l'appui de Madame de Maintenon, a obtenu une haute charge royale.
Tout commence de manière presque triviale avec un Racine obsédé par la crainte de la fistule anale dont il voit les ravages chez Louis XIV. Il reçoit une femme à l'intelligence aiguisée, diablement séduisante et séductrice, doublée d'une comédienne de talent qu'il connaît bien.
Jeanne Beauval appartient à la troupe de la Comédie Française nouvellement créée qui connaît des revers de fortune avec une tragédie de Campistron intitulée "Phraate" subitement retirée de l'affiche et la menace l'expulsion de l'Hôtel Guénégaud. Aussi vent-elle solliciter l'appui de Racine au nom de l'Art et de leur ancienne "amitié".
Fine mouche, elle a décelé la plume de Racine dans les vers de "Phraate" censuré pour une peinture des moeurs dont "on faisait au Monarque régnant des applications malignes" dixit l'encyclopédiste D'Alembert. Déterminée, elle débusque le rusé renard qui ne cesse de louvoyer. Ferrera-t-elle sa proie en lui suggérant d'"inspirer" un nouvel opus à Campistron pour éviter une révélation inopportune ?
Valérie Durin signe une excellente et jubilatoire pièce pour deux acteurs qui soutient sa note d'intention relative à "une enquête référencée et ludique à la découverte des tragédies inédites d’un homme double" et qu'elle met en scène avec une bienvenue et divertissante vivacité.
Si en fond de scène trône un portrait équestre de Louis XIV, point toutefois de costumes d'époque car la confrontation contemporaine ne paraît pas incongrue. Une méridienne, une pile de livres et manuscrits et un mini portable, et le décor d'un cabinet de travail est posé.
Au jeu, Valérie Durin est parfaite dans le rôle de l'actrice qui plaide sa cause en usant de tous ses atouts et appâts, des armes de la coquette - impossible de l'oublier en Célimène dans "Le Misanthrope" mis en scène par Serge Lipszyc et dont est projetée une image quasi subliminale - à la persuasion argumentée.
A ses côtés, Lionel Muzin s'avère épatant pour camper, entre vibrionnisme et abattement, un Racine à l'ambition repue avec la cinquantaine en ligne de mire et les premiers symptômes du rétroviseur.
Un beau et divertissant duel à fleurets mouchetés. |