Tout doux
(Microcultures Records / Differ-Ant) mai 2018
"Malgré les chaînes, le cours des ans, les océans qui nous entraînent, malgré les deuils, et les linceuls, et les secrets et les regrets, ça vaut la peine, ça vaut le coup" ("Ça vaut la peine")
L’amant de mes nuits blanches s’appela un jour Nietzsche. J’aimais son accent allemand et ses propos fatalistes, puis nous nous quittâmes sur un "deviens ce que tu es", l’affaire était close. C’est à lui que me fait penser Bertrand Betsch, un envoûtant solitaire inspirant l’optimisme du bout du chagrin.
Issu du crowdfunding, Tout doux est son onzième album, ténébreux et rêveur telle une odalisque crépusculaire de passage en ce vaste monde. "Je connais ces matins où on se sent chagrin, et je connais ces nuits qui sont comme des puits, oh mais je sais aussi que l’on en sort grandi" ("Tout doux"). "Devenons cette personne qui se cache au fond de nous, tout doux, tout doux, tout doux".
En toute humilité, les cordes caressées du bout des lèvres et le tempo nonchalant, Bertrand Betsch évolue sur les onze titres comme un cumulus dans l’azur, la mélancolie à ses basques, un sourire de Joconde et une sagesse follement déconcertante : "Il y a des clôtures un peu partout, il y a des gens charmants, on voudrait leur dire, mais figés au-dedans, nous sommes statues de cire" ("Le vide en soi").
Il allume l’étincelle de chaque chagrin, la magie des doutes et la lumière du bout du tunnel. Ils sont rares (et donc précieux) ces humains possédant la capacité à savoir chercher triomphe après défaite, à creuser ce qu’il reste plutôt que pleurer sur ce qui n’est plus : "Je suis juste fatigué, c’est rien ça va passer, il y a toujours quelqu’un pour te prendre la main" ("Tout doux"), espoir, quand je te tiens.
Et on se fiche de savoir si la prouesse de croire aux éclaircies relève d’une aptitude mentale exceptionnelle ou du courage, ce qui est sûr c’est que Bertrand Betsch insuffle un soupir dans les tréfonds, ce soupir qui murmure lève-toi, avance, il fera beau demain, il fait toujours beau demain. Un peu de mélancolie, une pointe de sagesse et un vague à l’âme souriant, Tout doux est le merveilleux de l’artiste.
Doux et romantique aux claviers, l’artiste oscille entre tristesse et tendresse. Sa musique guérit les âmes et évolue hors du temps, dans des thèmes universels tellement personnels. De la délicatesse des cordes et des rythmes légèrement pop, discrètement arrangés autour de la poésie de l’artiste.
Sombre, absolument mélancolique, le regard perçant et la fragilité dans le timbre, Tout doux est une mise en mots de ce que l’on cache sous les sourires de façade, après avoir bu l’amère défaite, Bertrand Betsch trouve la force de puiser dans ce qu’il reste pour se relever et continuer, malgré tout. Superbement lumineux.
"La beauté ne repasse pas les plats, laisse sur vous comme des traces de doigts, elle vous passe sur le corps et ne s’excuse pas" ("La beauté")