GUEULE D'ANGE
Réalisé par Vanessa Filho. France. Drame. 1h48 (Sortie le 23 mai 2018). Avec Marion Cotillard, Ayline Aksoy-Etaix, Alban Lenoir, Amélie Daure, Stéphane Rideau, Mario Magalhaes, Joël Boudjelta et Stefano Cassetti.
Jean Gabin disait qu’un bon film, c’est premièrement une histoire, deuxièmement une histoire, troisièmement une histoire. Au-delà de toutes considérations sur la forme ou le jeu des acteurs, il soulignait à sa manière la prépondérance de l’écriture, la consistance essentielle du scénario. Une condition pour que le spectateur soit captivé, embarqué d’un bout à l’autre de la pellicule. Pour Gueule d'ange", son premier long métrage, Vanessa Filho, qui avait déjà fait ses armes dans d’autres disciplines artistiques et un court-moyen métrage, comme elle nou le raconte dans l’interview audio qui accompagne cette chronique, a passé cinq ans de sa vie à écrire ce film, à peaufiner ses personnages avant que d’attaquer le tournage puis le montage.
Volonté de réussir son entreprise ou pointillisme obsessionnel... le défi de proposer une œuvre forte est relevé, haut la main. Évitant intelligemment un propos didactique, chaque séquence lève progressivement le voile sur des personnages dont on ne sait que peu de choses sur leur passé. Dans un esthétisme qui peut parfois évoquer le travail de Terrence Mallick ou de Nicolas Winding Refn, le maniérisme en moins, Vanessa invite à s’approcher au plus près d’une mère à la dérive, ne s’aimant pas assez pour bien aimer les autres.
On pourrait la trouver indigne d’abandonner ainsi sa fille, incarnée par une enfant comédienne incroyable de maturité. On pourrait moquer son look de baby-doll et condamner ses excès. Ce serait commode et confortable dans une époque où chacun se croit autorisé à juger son prochain. Mais la force du film réside précisément dans ce refus, dans l’affection portée à cette femme vivant ce qu’elle peut, comme elle le peut, loin de ce qu’elle voudrait par-delà les paillettes et les miroirs aux alouettes. Un ange, d’abord revêche comme le sont souvent les hommes, pourrait bien changer la donne. Mais n’en révélons pas trop et contentons-nous de souligner l’immense talent de Marion Cotillard, dépassant le cadre habituel d’une actrice faisant le job. Si peu dans l’histoire du cinéma suscitent une telle émotion. Romy Schneider fut capable de cela. Marion comme Romy s’oublie pour devenir Marlène, se jetant à corps perdu dans la bataille. Car elle sait au plus profond d’elle-même que pour Vanessa Filho comme pour Andrzej Zulawski, l’important c’est d’aimer, dans la vraie vie ou pour du faux sur un écran de cinéma.
LA FETE DES MERES
Réalisé par Marie-Castille Mention-Schaar. France. Comédie dramatique. 1h41 (Sortie le 23 mai 2018). Avec Audrey Fleurot, Clotilde Courau, Olivia Côte, Pascale Arbillot, Jeanne Rosa, Carmen Maura, Nicole Garcia, Vincent Dedienne, Marie-Christine Barrault, Pascal Demolon, Noémie Merlan, Gustave Kervern et Xavier Maly..
Avec La Fête des Mères< /span> Marie-Castille Mention-Shaar s’est lancée dans une sacrée entreprise que de dire en un film de deux heures, ce qu’est d’être mère. Au travers d’une galerie de personnages dont les chemins se croisent ou se frôlent, c’est une véritable fresque de la condition de la femme qui nous est ici proposée. Dans toute leur complexité, dans toutes les difficultés qu’elles affrontent, tous les questionnements qui les tenaillent. La place de la mère dans notre société moderne, ne manque pas d’âpreté. Il leur faut faire face, la tête haute. Qu’importe le milieu social dans lequel elles évoluent, elles doivent être fortes, impliquées, aimantes, capables d’abnégation au risque de s’oublier elles-mêmes dans leur ambitions, leurs amours, leurs vies de femme, tout simplement.
Cette production prend donc la forme d’un film choral, d’une histoire à tiroirs qui évoque nécessairement le cinéma de Claude Lelouch ou de Danièle Thompson. Il ne fallait pas se tromper dans le casting et force est de constater la générosité des comédiens à s’impliquer, sans trop en faire, sans chercher à tirer la couverture à soi, pour se fondre les uns dans les autres. Emouvant et tendre, un film qui fait du bien à nous rappeler que le rôle de mère reste le plus beau du monde. Le plus difficile aussi... Les séquences finales en points de suspension, portées par un crescendo musical de toute beauté, désarment d’humanité et d’émotion.
EVERYBODY KNOWS
Réalisé par Asghar Farhadi. Espagne/France/Italie. Drame. 2h12 (Sortie le 9 mai 2018). Avec Pénélope Cruz, Javier Bardem, Ricardo Darín, Eduard Fernández, Bárbara Lennie, Inma Cuesta, Elvira Minguez et Ramon Barea.
Asghar Farhadi compte désormais parmi les réalisateurs dont on attend avec impatience le nouveau film. Pour preuve ce Everybody knows, certes tourné en Espagne, mais mettant en scène deux stars hollywoodiennes, déjà réunis dans le très récent ""Escobar".
Javier Bardem et Pénélope Cruz forment un tandem d’une efficacité redoutable, nous l’avons dit, criants de vérité ici au service d’un thriller familial impeccablement mené. Farhadi excelle à dépeindre des personnages complexes ou à tout le moins qui portent en eux des secrets et des blessures de nature à tout faire exploser en vol.
La haine, la jalousie, la rancœur, la cupidité sont autant de sentiments qui rongent les liens apparemment solides unissant les membres de cette famille au détriment des pièces rapportées. Tout le monde sait mais personne ne dit rien. Même dans les derniers plans de ce film haletant, le non-dit gardera sa place car la vérité n’est pas toujours bonne à dire ni à entendre.
PLAIRE, AIMER ET CONDUIRE VITE
Réalisé par Christophe Honoré. France. Comédie dramatique. 2h12 (Sortie le 10 mai 2018). Avec Vincent Lacoste, Pierre Deladonchamps, Denis Podalydès, Clément Métayer, Adèle Wismes, Thomas Gonzalez, Quentin Thebault et Tristan Farge. .
Evoquant lui aussi les années sida, la sortie de Plaire, aimer et conduire vite"a nécessairement remis en mémoire le beau succès de ""120 battements par minute". Plutôt que d’aborder le sujet sous l’angle sociologique, Christophe Honoré a préféré une histoire individuelle, ce qui n’enlève rien à la portée universelle de l’œuvre.
Un écrivain atteint de la maladie et convaincu de l’issue fatale, rechigne à laisser entrer dans sa vie un dernier amour. Résigné, revenu de tout, il tombe cependant sous le charme et la sincérité d’un jeune provincial qui très vite s’attachera, au point de rêver d’une vie à deux, sans calcul ni angoisse.
Si la présence de Pierre Delafonchamps semblait logique, celle de Denis Podalydès et surtout de Vincent Lacoste l’était beaucoup moins.
Malgré quelques temps morts, le trio parvient toutefois à nous communiquer l’urgence d’un été de passion, nous épargnant une inutile grandiloquence et avec la plus belle retenue. Un été qui pourrait bien être le dernier, on le comprendra assez vite.
Mêlant joie et mélancolie, lumière et renoncement, Honoré revisite des thèmes de prédilections, déjà traités dans "Les deux amis" ou "Les bien-aimés", les amours impossibles ou déçues ou hésitantes, la conscience de l’éphémère aussi.
Bouleversant parce que solaire, solaire parce que juvénile et grave tout à la fois, Honoré a fait sensation à Cannes et on regrette que le jury n’y ait pas été plus sensible.
L'HOMME QUI TUA DON QUICHOTTE
Réalisé par Terry Gilliam. Espagne/France/Angleterre/Portugal/Belgique. Aventure. 2h12 (Sortie le 19 mai 2018). Avec Jonathan Pryce, Adam Driver, Olga Kurylenko, Stellan Skarsgård, Oscar Jaenada, Jordi Mollà, Sergi López et Rossy de Palma.
"L'homme qui tua Don Quichotte", le dernier Terry Gilliam souffre un peu d’épuisement. 20 ans d’accouchement, c’est beaucoup. Mille embûches se sont dressées sur une production qui semble maudite. Maladie d’un comédien, intempéries, affrontements juridiques...
Le réalisateur britannique a pourtant tenu bon, convaincu que l’adaptation de "Don Quichotte" serait l’entreprise de sa vie. Emboîtant l’histoire dans la fiction, la littérature dans le cinéma en une surabondance d’effets gigognes, Gilliam conte l’histoire d’un réalisateur cynique et désabusé, revenant à l’occasion du tournage d’une pub, sur les traces d’un film d’étudiant qu’il avait mis en boîte 20 ans auparavant et laissant derrière lui un village à jamais bouleversé dans ses rêves et ses espoirs.
Sans doute voulait-il dire l’humilité nécessaire pour assumer les conséquences de nos actes et si possible réparer les dégâts. Épique, surréaliste, foutraque et bien barré restent des adjectifs pertinents pour décrire la patte si singulière, unique du magicien de "Brazil" et de "L’armée des douze singes".
Mais la mise en abyme est un exercice délicat qui, en l’espèce, laisse le spectateur comme l’acteur central Adam Driver, sur le bord de la route, désorienté. Trop brouillon et un peu vain, le film ne convainc jamais vraiment.
Vents d'Orage |