En 2008, la Maison Européenne de la Photographie rendait hommage au graphiste d'origine polonaise Roman Cieslewicz avec l'exposition "Roman Cieslewicz - Photo-graphik" dédiée à sa pratique du photomontage et son travail de Roman Cieslewicz dans le domaine de la presse et de l'édition.
En 2018, reprenant le même visuel, celui du photomontage "Mona Tse-Tung", le Musée des Arts Décoratifs, qui détient une des plus riches collections de graphisme, lui consacre une rétrospective passionnante sous la houlette de la commissaire Amélie Gastaut, conservatrice en chef des collections design graphique et publicité audit musée.
Intitulée "Roman Cielewicz - La Fabrique des Images", a réuni un riche florilège de sept centaines d'affiches, illustrations et documents d'archives ordonnés en un parcours chrono-thématique destiné à éclairer le processus de création de l'artiste.
Une création engagée en ce qu'elle s'inscrit dans une conception résolument politique de l'art, qui ne saurait se cantonner à l'ornemental ou à l'illustratif, et s'applique également au graphiste qu'il considère de surcroît comme un "aiguilleur de rétine", avec, pour corollaire, un didactisme intellectuel et esthétique.
Roman Cieslewicz - Le Chopin de l'art graphique contemporain*
Instillée de vidéos, de quelques unes des images contenues dans ses boîtes thématiques constituant une véritable banque documentaire et d'une reconstitution de son atelier, la (dé)monstration s'avère aussi percutante que passionnante.
Elle révèle l'œuvre foisonnante, entre travaux de commandes et production d'atelier, éclectique, pour la presse, l'édition et la communication, et d'excellence dans tous les domaines de l'expression graphique.
Formé notamment à l'Ecole des eaux-Arts de Cracovie, Roman Cieslewicz, s'inscrit, avec son art du collage dans l'âge d'or de l'affiche polonaise des années 1950-1960 sous influence de l'avant-garde de années 1920 marqué par le Groupe Blok réunissant cubistes, constructivistes et suprématistes, et de ses maîtres, le chef de file du factoréalisme.
Les traits caractéristiques sont désormais fixés: la composition spatiale héritée du constructivisme, la clarté de l’expression plastique au déchiffrage immédiat avec l’utilisation de formes géométriques, tel le cercle, sa forme fétiche, forme primordiale, venue de l'enfance, avec la forme du pain qu'il mangeait et forme du diagramme de De Vinci qui illustrait l'encyclopédie paternelle, et la maîtrise de l'intégration de la typographie.
Venu en France où il s'installera à demeure, il oeuvre tant pour le magazine Elle dont il devient le directeur artistique que dans le cadre du mouvement actionniste Panique fondé par Fernando Arrabal, Alejandro Jodorowsky et Roland Topor avec la revue Kamikaze.
A l'imagerie populaire du 19ème siècle qui inspirait sa période polonaise succède l'iconographie du 20ème siècle, celle portée par médias de masse qui créent une nouvelle mythologie quotidienne, avec les icônes médiatiques ou populaires, et une esthétique proche du Pop Art avec les aplats de couleurs pures.
La présentation chronologique permet de distinguer ses trois axes graphiques à savoir le collage, le photomontage et le photographisme, chacun privilégié temporellement mais jamais abandonné. Le collage est largement exploré dans les décennies 60-70 notamment en marge de sa production commerciale avec ses déclinaisons sur le mode de la multiplication et de la sérialité sur le mode de l'accumulation d'une multitude d'images contemporaines, les collages structurels
ou de la variation de motif dans ses collages répétitifs.
Suivront les collages centrés avec une image recréée par symétrie centrale opérée sur le visage, un de ses sujets récurrents avec l'oeil et la main, qui aboutissent à l'élaboration de la série des cyclopes dont de nombreux repris dans le magazine photographique Zoom qui ressortent au crypto-portrait révélant de manière surréaliste une présence énigmatique surtout quand il concerne une personnalité identifiable telles celles de Mona Lisa, Zouk et Bobby Fisher.
La période 1975-1985 et marquée par le photomontage en couleur dont il use tant pour ses travaux personnels, les superbes séries "Changements de climat" et "Oséelisques", que pour l'illustration d'oeuvres littéraires, ainsi pour "Les Mystères d’Udolpho" de Ann Radcliffe et "Les dieux ont soif" de Anatole France, pour lesquels il opère sur les chefs-d’œuvre de l’Histoire de l’Art, et plus particulièrement ceux de la Renaissance italienne qui participe de la désacralisation à laquelle s'attache an Roman Cieslewicz.
Mais également à partir de photos d'actualité avec un graphisme percutant qui signe son engagement dans le combat politique.
Sa dernière décennie est placée sous le signe du photographisme avec l'utilisation d'images originelles. Trichromatisme noir/blanc/rouge et un assemblage édifiant sans "paroles" pour des événements historiques telle la série "Pas de nouvelles, Bonnes nouvelles".
Ou noir et blanc et typographie "choc" pour dénoncer les faits de guerre de l'Irak aux Balkans.
Passionnante et didactique, avec ses judicieux cartels explicatifs, cette exposition permet de prendre la mesure de la foisonnante créativité de Roman Cieslewicz à une époque qui ne connaissait pas la CAO et qui se révèle d'une époustouflante modernité formelle. De plus, elle soutient un regard d'une absolue lucidité qui porte une vision tragique du monde, fil rouge que pourra suivre le visiteur. |