Ce disque est une histoire d’amitié et d’admiration à ne surtout pas manquer : une amitié de plusieurs années entre deux grands pianistes, Serge Babayan et Martha Argerich et une admiration pour un grand compositeur, Serge Prokofiev.
Martha Argerich, pianiste argentine née en 1941, est sans conteste l’une des plus grandes interprètes du répertoire pour piano. Elle montre très tôt une admiration pour le compositeur Russe en mettant par exemple la très virtuose Toccata op.11 à son répertoire lors du fameux concours Busoni qu’elle gagnera à l’âge de 16 ans. Un de ses professeurs, Friedrich Gulda, grand interprète de Prokofiev l’influencera également beaucoup.
Prokofiev for two tourne autour de la musique de Scène de Prokofiev, opéra, ballet, mais également musique de film. Toutes les oeuvres enregistrées ici, sont au départ écrites pour orchestre symphonique. Serge Babayan a savamment transcrit toutes ces partitions pour deux pianos afin que l’on retrouve les ambiances et les couleurs chères à Prokofiev.
La danse occupe une place centrale dans le choix des oeuvres effectué par Serge Babayan. Mais surtout, toutes ces musiques ont le point commun d’être des oeuvres peu connues, souvent retrouvées ou éditées après la mort de Prokofiev. Nous pouvons entendre un extrait de la musique de scène Eugène Onegin (1936), oeuvre dont le manuscrit ne sera découvert qu’en 1973 par la musicologue soviétique Elisabeth Dattel. The Ghost of Hamlet’s father, de la musique de scène Hamlet, dans un registre très grave avec une mélodie répétitive, lugubre, admirablement transcrite. Cette partition datant de 1937 ne sera publiée qu’après la mort du compositeur. Un petit brin de douceur ponctue ce disque avec La Valse de Natacha et du prince André, extrait de son opéra Guerre et Paix d’après le célèbre roman de Tolstoï. Encore une fois cet opéra, que le compositeur remaniera plusieurs fois, ne sera publié qu’en 1959. Sergei Babayan nous propose ensuite une transcription de la musique du film La Dame de Pique. Ce film, hommage au centenaire de la mort de Pouchkine, ne sera jamais projeté.
Enfin, la pièce maîtresse de ce disque est le célèbre ballet Roméo et Juliette op.64 du compositeur. Le ballet est pour Prokofiev un genre où le mot s’efface pour laisser place à une expression musicale pure. Il travaillera d’ailleurs en parallèle sur l’écriture de ce ballet, mais aussi plusieurs transcriptions de cette même oeuvre pour orchestre et pour piano afin de multiplier la diffusion de sa musique. Nous sommes en présence d’une nouvelle version de cette oeuvre avec l’utilisation des deux pianos et un choix de pièces issues des différentes versions de l’oeuvre. Les deux pianos nous rapprochent fortement de la version orchestrale avec un ambitus très large, une grande recherche dans les registres pour être au plus proche des instruments originaux. De plus, nous pouvons distinguer davantage de contrechants que dans la version pour piano seule. Les contrastes opérés par ces deux grands pianistes sont remarquables : contrastes de caractère avec des pièces d’une grande puissance comme la fameuse "Danse des chevaliers" ou encore "La mort de Tybalt" et des pièces d’une douceur extrême comme "Morning sérénade". Les nuances sont remarquables avec par exemple des changements saisissants dans la "Danse du matin" qui alterne des moments forte et tout de suite des pianissimo qui nous obligent presque à tendre l’oreille.
Ce disque est pour moi une grande découverte à la fois pour le choix d’oeuvres peu connues et délaissées à l’époque de Prokofiev, mais aussi pour cette nouvelle version de Roméo et Juliette qui m’a laissée en admiration tant par la virtuosité de Serge Babayan et Martha Argerich que par les contrastes et la puissance musicale de ces deux pianistes. |