Monologue dramatique de Doug Wright interprété par Thierry Lopez dans une mise en scène de Steve Suissa. La partition "I am my own wife" du dramaturge américain Doug Wright doublement récompensée en 2004 par le Prix Pulitzer et le Tony Award est consacrée à la vie de Charlotte von Mahlsdorf devenue une figure emblématique de la communauté LGBT allemande qui a vécu son travestissement au grand jour sous deux régimes homophobes et répressifs, l'Allemagne du IIIième Reich et la République Démocratique Allemande.
A un jeune âge, Lothar Berfelde, fils d'un père nazi violent et d'une mère soumise, décide de devenir Charlotte. Sauvée in extremis par l'invasion des troupes russes alors qu'elle purge une peine de prison pour le meurtre de son père, et passionnée d'antiquités, les meubles des Juifs spoliés, et gardienne des oeuvres des artistes dégénérés, elle vit dans une maison-musée également abri pour les opprimés et cabaret clandestin pour parties fines.
Fondatrice du Gründerzeit Museum ouvert au public en 1960 et avec l'octroi de la croix fédérale du Mérite, elle fait l'objet d'une reconnaissance publique qui va se ternir en raison d'un soupçon de collaboration avec la Stasi.
Créée en France sous titre " Ich bin Charlotte" dans la traduction de Marianne Groves et la mise en scène de Steve Suissa, elle retrace donc ce destin et parcours de vie atypique en combinant soliloques, bribes de souvenirs autobiographiques, interviews et scènes dialoguées dans une partition pour un comédien.
La partition pour un comédien s'avère également atypique dès lors qu'elle relève davantage de l'enquête et de l'hymne à la tolérance que de la militance et n'aborde les thématiques de l'homosexualité, du travestissement et du transgenre qu'à l'aune de ces prismes subjectivisés, sans toutefois lever le voile sur l'ambiguïté de celle devenue un personnage.
De surcroît, en évitant judicieusement le réalisme naturaliste, a opté pour une représentation paradoxale de celui-ci dès lors qu'elle ressort de la présence décalée et quasi fantomatique qui la détache du réalisme d'un biopic théâtral.
Le comédien Thierry Lopez n'officie donc pas dans l'incarnation physique. Silhouette longiligne, barbe noire et stilettos, il évoque davantage une Conchita Wurst au cheveu ras dont, au demeurant, une des tenues a manifestement inspiré le costume de scène confectionné par Jean-Daniel Vuillermoz, qu'aux portraits photographiques de Charlotte-rombière "mamie gâteau" en gilet tricoté main et rang de perles.
Dans le décor suranné de Natacha Markoff, avec un buffet "à tiroirs" cerné de gramophones, seule concession anecdotique, habillé sur mesure par les lumières "haute couture" de Jacques Rouveyrollis, sanglé dans sa tenue janusienne, Thierry Lopez dispense une performance-solo virtuose époustouflante, fascinante et troublante.
Il investit magistralement la scène en drama-queen pour dévoiler l'antienne de Charlotte, celle qui clamait pour toute réponse "Je suis ma propre femme".
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