Réalisé par Maurice Delbez. France. Comédie dramatique. 1h27 (Sortie version restaurée le 19 septembre 2018 ? 1ère sortie décembre 1964). Avec Madeleine Robinson, Serge Nubret, René Lefèvre, Lucienne Bogaert, Suzanne Gabriello et Daniel Jacquino.
Ceux qui en restent au vieux débat "Nouvelle Vague-Cinéma de qualité française" seront ravis de revoir "Rue des Cascades" de Maurice Delbez. Ils y retrouveront tout ce qu'ils aiment ou détestent...
Des acteurs très français, des mots d'auteurs (de Jean Cosmos), un Paris popu où les décors reconstitués suppléent les décors naturels, et une histoire très écrite. Ici, elle est tirée d'un roman d' "Alain et le nègre" de Robert Sabatier, où déjà pointaient les thèmes qui feront le succès de la série des "Olivier".
D'ailleurs, quelques années avant "Rue des Cascades", un autre roman de Sabatier assez similaire avait aussi été adapté par Julien Duvivier, "Boulevard", qui se situait plutôt vers Pigalle que Belleville... et où Jean-Pierre Léaud faisait une infidélité au cinéma dit nouveau pour rejoindre aussi un cinéma populaire à l'ancienne.
Aujourd'hui, "Rue des Cascades" apparaît comme un OVNI cinématographique. Voir une Madeleine Robinson "vieillissante", tenant un bistro-épicerie, amoureuse du culturiste antillais Serge Nubret - le futur rival de Schwarzanegger pour Monsieur Univers ! - et élevant seul son petit Alain (Daniel Jacquinot), semble dépasser toute provocation.
Ce qui pour Maurice Delbez, cinéaste-résistant, humaniste incontestable, est une belle histoire d'amour devait être pour le spectateur moyen de 1964 une aberration inconcevable et sans doute pouvait-il facilement s'identifier au discours raciste du pochtron joué par René Lefèvre.
En plus de la différence de couleur de peau, il y a la différence d'âge. Et Delbez aggrave son cas puisque Suzanne Gabriello, qui joue une amie de Madeleine Robinson, elle aussi sort avec un tout jeune homme à peine démobilisé... alors qu'elle est mariée.
Continuer le cinéma à "l'ancienne", avec des thèmes féministes et antiracistes, a des parfums d'oxymore. "Je suis peut-être le dernier de la classe, mais je suis le premier à avoir traversé" dit l'un des petits poulbots bellevillois alors que l'on aperçoit dans le plan suivant les premiers "HBM", "habitations à loyer modéré", ancêtre des "HLM" qui vont justement repousser la génération suivante hors Paris, hors Belleville.
"Rue des Cascades" de Maurice Delbez est un film témoin qui annonce sans forcément le faire volontairement la fin de beaucoup de choses. Que ce soient les épiceries-buvettes, les petits garçons intrépides et espiègles qui se moquent des adultes, et ce Paris plein de gens de peu, tout semble en suspension avant disparition. Ce qui émeut c'est que personne n'a encore vraiment conscience que le RER, le périphérique, la Défense et compagnie sont dans les cartons gaullistes...
Peut-être que l'insuccès du film signifiait aussi qu'il n'y avait déjà plus assez de public capable de s'identifier à ce "réalisme social" revisité une nouvelle fois.
On regardera "Rue des Cascades" de Maurice Delbez avec un brin de nostalgie et sans se voiler ses faiblesses et son inadaptation à l'heure où les classes populaires s'équipaient en téléviseurs et ne se rendaient plus au cinéma que pour rire et plus du tout pour voir leur reflet même dessiné avec gentillesse et une belle distance poétique... |