Comédie de Molière, mise en scène de Jean-Pierre Vincent, avec Olivia Chatain, Gabriel Durif, Aurélie Edeline, Vincent Garanger, Iannis Haillet, Elizabeth Mazev, Anthony Poupard et Alain Rimoux.
Pièce de commande en forme de comédie-ballet pour le Grand Divertissement Royal de 1668 pour laquelle Molière opère par recyclage de "La Jalousie du Barbouillé", "George Dandin ou Le Mari confondu" s'ordonne autour du thème classique du mariage arrangé qui tourne fort naturellement à la déconfiture de l'époux barbon aux vilaines manières, de la lutte des classes qui ne saurait modifier l'ordre établi, de la satire éprouvée des infatuées moeurs nobiliaires et de la lutte des femmes contre la tyrannie maritale.
Une déconfiture d'autant plus cruelle qu'elle décrit l'irrésistible chute d'un paysan enrichi embarqué dans l'ascenseur social et atteint non seulement de la folie des grandeurs mais de l'ivresse des cimes. Ainsi a-t-il contracté mariage, contre espèces sonnantes et trébuchantes, pour rentrer dans la lignée aristocratique de petits hobereaux désargentés de province sans scrupules qui ont vendu leur fille pour éponger leurs dettes.
Mais ce mariage forcé pour redorage de blason qui fera florès à la Belle Epoque n'est pas du goût de la demoiselle qui renâcle aux exigences conjugales au nom de ce qui n'est pas encore qualifié d'épanouissement personnel et son mari voudrait bien s'en séparer.
Jean-Pierre Vincent met magistralement en scène cet opus protéiforme, de la comédie de mœurs à la comédie sociale et politique, qui conjugue farce, tragi-comédie et drame, comme une comédie noire en indiquant le traiter comme une fantasmagorie onirique dans un paysage social qui est celui du vieux pays pérenne qu'est la France dans lequel "nous pataugeons".
Et s'il opte pour un jeu en costumes d’époque confectionnés par Patrice Cauchetier celui-ci se déroule dans un environnement qui ne ressort pas au réalisme naturaliste. En effet, la scénographie de Jean-Paul Chambas repose sur le procédé du décor-écran qui permet d'édulcorées projections évocatrices avec toutefois l'anachronisme résidant en un élément hyper-réaliste, un espace-étable avec une vache laitière encastrée dans un mur dont seul apparaît l'arrière-train façon "Dead Horses" de Maurizio Cattelan.
La présence du bovin pour anecdotique qu'elle puisse paraître constitue une bonne synthèse de en rappelant l'origine paysanne du principal protagoniste, son comportement face à l'épouse considérée comme du bétail qu'il veut retourner à l'envoyeur pour tromperie sur la marchandise et celui des beaux-parents sans scrupules pour lesquels il constitue selon l'expression triviale "une vache à lait".
En instance de cocufiage, et contrairement à la tradition qui veut que le cocu soit le dernier informé, Dandin est averti avant même sa concrétisation par le babillage de l'émissaire gaffeur (Anthony Poupard truculent) de l'amant à bon compte, vicomte versaillais à la préciosité effeminée (Iannis Haillet).
L'occasion lui est donnée de confondre la méchante épouse mais personne n'a intérêt à entendre, et encore moins faire droit, à ses doléances. Ni les géniteurs, matrone bigote (Elisabeth Mazev) et matamore sur le retour (Alain Rimoux), ni l'imminente infidèle (Olivia Chatain) déjà au fait des stratégies galantes, qui manifeste des prédispositions certaines à la coquetterie de Célimène et à la rouerie tartufienne; et épaulée par une servante militante féministe (Aurélie Edeline).
Et à trois reprises, avec un entêtement masochiste et quasi-victimaire, il renouvellera son action, ponctuée par les mélopées mélodramatiques chantées par le valet de ferme (Gabriel Durif), qui sera traitée par le mépris et l'humiliation.
La partition, mise en oeuvre sans aménité de Jean-Pierre Vincent, si ce n'est pour l'inattendu "twist" du dénouement, est portée par Vincent Granger qui, dans le rôle-titre, livre une superbe leçon d'interprétation, de la révolte à la défaite en passant par la soumission pathétique, et d'incarnation de ce "fou de parvenu abattu en plein vol". |