Chouette ! Un nouveau livre de Jeffrey Eugenides, l’auteur à succès des excellents Virgin suicides, Middlesex et Le Roman du mariage ! Avec Des raisons de se plaindre, publié aux éditions de l’Olivier, c’est dans l’exercice des nouvelles que se lance le romancier américain. Des nouvelles écrites au cours de décennies différentes avec des textes anciens (les plus anciens datent de 1988) et d’autres beaucoup plus récents (autour de 2017 pour certains).
Au nombre de dix, ces nouvelles nous proposent des personnages se trouvant à un carrefour de leur existence. Un américain connaît une illumination bouddhique à l’occasion de vacances passées sur une île déserte. Un professeur se retrouve accusé de viol. Un ancien amant ne comprend pas qu’une femme ait choisi un autre que lui comme donneur de sperme. Un type qui observe son ex-femme. Un ancien millionnaire se retrouve au bord de la faillite. Tous font preuve d’une mauvaise foi, d’un sentiment de culpabilité et d’une bonne dose de déni.
L’argent aussi est très présent dans ce recueil de nouvelles, qu’on cherche à le gagner, qu’on veuille le détourner ou qu’il soit un objet permanent de fantasme. A chaque fois, rien ne se passe comme prévu et, si une échappatoire existe, elle ne peut être que celle de l’humour.
L’ouvrage débute par une superbe nouvelle, l’une des meilleures du livre, se passant à Détroit, la ville natale de l’américain, autour de deux femmes d’un certain âge, des "râleuses", c’est le titre de la nouvelle, dans une échappée magnifique. On retrouve dans la nouvelle suivante l’un des héros de son livre précédent, Le Roman du mariage, Mitchell Grammaticus que l’on retrouvera aussi dans l’un de ses prochains livres.
A la lecture de ces nouvelles, on retrouve des éléments autobiographiques, notamment pour ce qui est des choix des personnages. Des personnages fils d’immigrés, comme l’était son père, une jeune fille de l’âge de la sienne ou encore un homme qui perd tout son argent du fait de mauvais choix (encore comme son père) sont présents dans le livre.
La grande qualité du livre vient du fait que l’auteur nous offre de nombreuses émotions, entre rires et tristesse, parfois à l’intérieur d’une même nouvelle comme c’est le cas pour "A qui la faute". Et en même temps, les personnages qu’il nous décrit ne sont pas de héros, ce sont des êtres comme nous tous dans lesquels on peut facilement se reconnaître.
Des raisons de se plaindre est donc un concentré de tous les talents de Jeffrey Eugenides. Le brillant romancier américain y expérimente tous les registres et nous offre le portrait d’un américain de notre temps. On y retrouve son ironie tendre et une forme d’émotion singulière où la moquerie se teinte de mélancolie.
Une fois encore, le plaisir de lire un ouvrage de Jeffrey Eugenides est bel et bien présent. Et on attend déjà un nouveau roman du maître… |