Où vivre, ou comment nous narrer l’histoire de l’Etat d’Israël au travers d’un court roman polyphonique. C’est ce que nous propose Carole Zalberg en un peu plus de 135 pages avec son nouvel ouvrage, publié aux éditions Grasset.
Marie, née en France en 1960, va nous reconstituer l’histoire de sa famille à partir des récits de ses grands-parents polonais, oncle, tante et cousins, installées en Israël après la guerre. En ouvrant le livre d’une famille, elle va nous dévoiler l’histoire de deux sœurs, Anna et Léna, nées en Pologne dans les années 30, parties ensuite se réfugier en France pour fuir le nazisme vont voir leur destin se séparer après la guerre, Anna restant en France quand Léna décida de partir pour rejoindre le naissant Etat d’Israël.
Malgré la distance les deux sœurs conservent une attache indéfectible liée à leur histoire familiale. Dans son kibboutz, Léna va rencontrer Joachim avec lequel elle aura trois enfants, Elie, Dov et Noam. La petite famille va grandir dans ce kibboutz, lieu de bonheur, aux côtés des grands parents rescapés avec l’espoir de pouvoir être juif et heureux après tous ces tourments.
Anna, elle, a construit sa famille en France même si elle a toujours eu l’intention de rejoindre sa sœur sans que cela se concrétise. Elle a eu deux filles, Carole et Marie que l’on découvre au début du livre, nous relatant l’accident de son cousin Noam et nous décrivant son retour à la vie depuis son lit d’hôpital.
Le livre est construit autour de courts chapitres portant le prénom du membre de la famille qui s’exprime et une date. Chacun exprime sa perception de ce qui l’entoure mais aussi ses choix de vie. Leur parcours permet de bien comprendre le destin de nombreux juifs après la guerre qui se posaient la question de savoir où vivre. Au travers de l’histoire de cette famille se dévoile donc les errements d’un peuple et la difficile construction d’un état très souvent critiqué. Le parcours tourmenté des différents membres de cette famille s’insère parfaitement dans celui de la construction d’Israël.
Le livre relate les espoirs engendrés par l’historique poignée de mains effectuées par Arafat et Rabin mais aussi l’immense chaos qui suivi l’assassinat d’Yitzhak Rabin le 4 novembre 1995, date importante dans l’histoire d’Israël. Il se dégage une très grande émotion des pages consacrées à l’assassinat de cet homme qui œuvrait pour la paix avec les Palestiniens, coupé dans son élan et tombé sous les balles de l’un des siens, un juif proche des milieux sionistes d’extrême droite.
Ce livre est d’une intelligence rare, servi par une écriture lumineuse. Il nous raconte autant qu’un livre d’histoire érudit avec une sensibilité que ce dernier ne pourra jamais obtenir. Carole Zalberg n’élude rien, n’omettant pas de nous décrire les paradoxes d’Israël avec une franchise et une honnêteté qui forcent le respect. On y voit un état se construire petit à petit, délaissant en cours de chemin ses idéaux de départ.
Ce livre est aussi un livre courageux tant il est compliqué aujourd’hui d’écrire la moindre ligne sur Israël, encore plus lorsqu’on la traite de façon totalement objective.
Ce livre enfin, c’est évidemment un peu celui de la vie de l’auteur, Marie apparaissant comme étant un peu le double de Carole Zalberg, qui nous construit alors un roman familial romancé autour d’une famille juive attachante, intelligente que l’on est pas prêt d’oublier.
Où vivre est donc un magnifique ouvrage qui nous permet d’appréhender la construction d’Israël depuis 1949 en nous prouvant que la littérature peut magnifiquement servir l’Histoire.