Réalisé par Sophie Bruneau. France. Documentaire. 1h03 (Sortie 12 décembre 2018)
"Rêver sous le capitalisme" de Sophie Bruneau repose sur un dispositif très simple et très efficace : elle filme des lieux emblématiques des grandes entreprises ou de leur environnement et enregistre des employés belges qui racontent leurs rêves liés à leur travail.
Ceux-ci sont racontés en voix off sur les images ou directement par les intéressés, filmés dans leurs bureaux, qui succèdent aux images précédentes.
On pourrait croire que cela donne un résultat monotone ou ennuyeux, mais Sophie Bruneau réussit tout au long de son court long métrage (à peine plus d'une heure) des images saisissantes d'immeubles, de chantiers, de ciel bleu perturbé par les traces blanches d'un avion à réaction.
Elle réussit même un travelling latéral de toute beauté où l'on découvre l'intégralité des tables d'une cantine d'entreprise avec en arrière-plan, derrière les employés attablés et pas du tout concernés par la caméra, le long défilé de l'immeuble d'en face.
Les rêves collectionnés dans "Rêver sous le capitalisme" de Sophie Bruneau sont saisissants.
On y entend des hommes et des femmes que l'on sent à bout raconter qu'ils tapent sur leurs collègues, se retrouvent en momies, ligotés et bâillonnes ne pouvant pas crier face au sort qu'on leur réserve dans leur entreprise. Un ingénieur explique qu'il tue son patron tyrannique, une femme, certainement une psychologue, décrit qu'on lui ouvre la cavité crânienne et que des petits personnages assis dedans et armés de longues cuillères lui mangent le cerveau et même davantage...
L'alternance des belles images léchées qu'on pourrait trouver dans certains films d'Antonioni ou "Play Time" de Jacques Tati et de ces récits fantasmés assez clairs sur le mal-être au travail, comme celui où une femme revit le 11 septembre avec un avion qui vient percuter sa fenêtre, finit par donner au film une vraie étrangeté, un authentique mystère.
Si le titre du film comprend le mot "rêver", c'est plutôt le terme "cauchemarder" qu'il aurait fallu utiliser.
Avec une idée simple, Sophie Bruneau a parfaitement cerné la réalité du libéralisme quand il considère l'humain comme une simple variable d'ajustement. "Rêver sous le capitalisme", c'est donc avant tout subir mentalement sa pollution et son oppression.
Pour s'en libérer, il ne semble n'y avoir de salut que dans la fuite.
Cette vision originale de l'aliénation a l'avantage de se garder de donner des leçons.
Les images et les rêves racontées sont suffisamment explicites pour que "Rêver sous le capitalisme" de Sophie Bruneau soit, sans paraître y toucher, une critique très juste de ce qu'on appelait dans des époques lointaines l'exploitation au travail.
A voir avant que des cauchemars récurrents ne pourrissent l'existence.
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