Tragi-comédie de Odon Von Orvath, mise en scène de Marion Boisgiraud, avec Amine Chaïb, Nina Cruveiller, Eloïse Bloch, Caroline Dumontier, Mikaël Gauluet, Arthur Oudot, Marc Stojanovic (en alternance Johann Proust) et François Vernaudon. Fondée en 2017 par de jeunes promus de l'Ecole professionnelle Claude Mathieu manifestement versés dans le burlesque et le surréalisme à l'instar de son nom magrittien, la jeune Compagnie Ceci n'est pas une tortue, qui a démarré sur les chapeaux de roue avec une remarquable proposition dirigée par Manon Simier pour l'opus de Marion Aubert "Les Aventures de Nathalie Nicole Nicole", passe la seconde en trombe avec "Allers-retours".
Dans cette partition de facture tragi-comique aux accents farcesques, le dramaturge Odon Von Orvath déploie un argument kafkaien, celui de l'imbroglio juridique résultant des droits nationaux relatif à la nationalité, situation qu'il a personnellement connu en raison de sa naissance dans une ville croate rattachée à l'Empire d'Autriche-Hongrie.
Dans une contrée en proie à la récession économique et au repliement nationaliste, le brave commerçant Havlicek devient un indésirable non seulement expulsé de son pays d'intégration pour cause de faillite mais refoulé par son pays d'origine à défaut d'avoir accompli une formalité administrative, ce qui le condamne à demeurer sur le pont-frontière, lieu au demeurant très fréquenté, où il devient le témoin, privilégié des dissensions ataviques et des péripéties transfrontalières.
A mise en scène, outre une émérite direction d'acteur dans la choralité, Marion Boisgiraud s'est judicieusement affranchie tant de la sempiternelle facture brechtienne à laquelle est associé le théâtre populaire allemand du début du 20ème siècle que de l'iconographie du cabaret viennois façon Berliner Ensemble pour raconter à la manière d'une bande dessinée satirique ces petites histoires rocambolesques pour grandes personnes.
De même, pour la scénographie riche de petites trouvailles poético-ludiques, Mikael Gauluet s'est dispensé du dispositif de la tournette préconisé par l'auteur tout en évitant la matérialisation statique du pont pour y substituer une dynamique chorégraphique avec des praticables mobiles réalisés avec des chariots de manutention customisés avec des palettes en bois pour signifier les différents espaces scéniques.
Et ils se reconfigurent au gré de la partition scandée par une bande musicale éclectique et non invasive interprétée en direct live par Caroline Dumontier et Eloïse Bloch également au jeu respectivement en truculente postière et "desperate housewife".
Dans les croquignolets costumes confectionnés par Ariane Chapelet, tous les comédiens, au jeu juste et contemporain et à la roborative fraîcheur, portent leur personnage avec la juste charge caricaturale.
Avec autour de François Vernaudon en naïf antihéros dégingandé à la Monsieur Hulot dont le chapeau mou est remplacé par le melon chaplinesque, Arthur Oudot en pêcheur "illuminé", Marc Stojanovic en mini-dictateur et Mikaël Gauluet en gabelou hipster, Nina Cruveiller en hardie poupée rebelle et Amine Chaïb en douanier "beau gosse" pour qui l'amour ne connaît pas de frontière.
Donc une belle réussite à inscrire à leur actif. |