Réalisé par Luis Ortega. Argentine/Espagne. Drame. 1h58 (Sortie 9 janvier 2019). Avec Lorenzo Ferro, Chino Darín,
Daniel Fanego, Mercedes Moran, Malena Villa, Cecilia Roth, Luis Gnecco, Peter Lanzani et William Prociuk.
Il y a deux ans, avec "El Clan", Pablo Trapero avait reconstitué de manière magistrale une histoire vraie des années de la dictature, celle d'une famille de criminels argentins, dont la singularité était d'appartenir à la bonne bourgeoisie avec notamment un fils jouant avec les "Pumas", l'équipe nationale de rugby.
Avec "L'Ange" de Luis Ortega, le crime sanguinaire est une fois de plus élevé au rang des beaux-arts du pays de Borges et de Maradona. Et le criminel est garanti insoupçonnable puisqu'il n'a pas l'air d'une brute épaisse et n'est pas l'héritier d'une lourde hérédité poussant à mal agir et à s'en prendre à l'ordre social.
Non, Carlitos, Carlos Robledo Puch pour l'état civil, est un jeune homme qu'on peut par bien des côtés toujours considéré comme un adolescent et qui se caractérise par un visage angélique.
Quand il daigne sourire, ce blondinet pourrait obtenir le bon Dieu sans confession. Et il le sait ! Et il n'hésite pas à en jouer quand la situation l'y oblige.. Car cet éphèbe blond aime vivre dangereusement, pénétrer chez les autres - surtout quand ils habitent des villas cossues - et se servir au gré de sa fantaisie.
Tout pour lui paraît irréel, sauf sa petite cellule familiale avec une mère qui l'adore et un père obtus qui commence à flairer qu'il ne sera pas l'être viril et travailleur dont il rêvait...
Ayant découvert un alter ego, Ramon, dont il va considérer les parents voleurs comme il aurait aimé que ce soient ses propres géniteurs, il va s'adonner à son métier de monte-en-l'air avec une redoutable aisance, mais peu à peu, en visitant les appartements qu'il pénètre avec parfois trop de facilité, il va s'en prendre aux endormis et faire en sorte qu'ils ne se réveillent plus...
Attention ! L'affiche du film est mensongère : rien à voir avec le personnage de Mesrine. Carlitos est un ange blond qui cache froidement ses turpitudes et ses tendances paranoïaques, et qui n'a nullement envie de s'attaquer à la société parce qu'elle est pleine d'interdits qu'il aime transgresser.
S'il fallait faire un rapprochement, ce serait plutôt avec un beau personnage d'adolescent tueur comme pouvait les imaginer Jean Genet, d'autant que sa sexualité le porte vers les garçons. Précise, tendue, haletante, la mise en scène de Luis Ortega alterne les moments où, comme disait Belmondo dans "Le Voleur" de Louis Malle "il fait salement son travail sale", et ceux où il s'est envolé de ce monde en "Petit Prince" venant d'ailleurs.
Joué avec un charme vénéneux par Lorenzo Ferro, qui à l'image de Dorian Gray, paraît être étranger à toute dégradation morale, Carlitos est aussi entouré d'acteurs magnifiques (telle Cécilia Roth, ex égérie d'Almodovar) et le jeune Chino Darin, forcément fils du grand Ricardo Darin et amené par atavisme à lui succéder sur les écrans argentins.
"L'Ange" de Luis Ortega donne à voir le portrait d'un jeune homme entre adolescence et état adulte. Sauf que ce passage commun à tous les garçons est ici compliqué - et rendu finalement impossible - par une série de meurtres aussi concrets pour le spectateur qu'abstraits pour celui qui les pratique...
Formellement plein de trouvailles pour montrer cette dérive hors de la réalité ponctuée d'atterrissages soudains et terribles dans la vraie vie, le film est d'une grande efficacité notamment avec sa fin attendue et pourtant construite sur un faux suspense donnant l'illusion qu'une autre issue serait possible.
Du grand art pour un thriller qui sait éviter d'être seulement froid et intelligent et apporte de quoi méditer ironiquement sur le sens de la vie. |