Comédie de Felix Lope de Vega, mise en scène de Justine Heynemann, avec Sol Espeche, Stephan Godin, Corentin Hot, Rémy Laquittant, Pascal Neyron, Lisa Perrio, Roxanne Roux et Antoine Sarrazin. Pour les Français, Lope de Vega est le dramaturge espagnol le plus prolifique du Siècle d'or. Il a écrit des centaines d'oeuvres et seulement quelques-unes d'entre elles ont été traduites dans la langue de Molière... qui s'en serait souvent inspiré.
"La Dama Boba", sous-titrée "Celle qu'on trouvait idiote" a été écrite en 1613 et pourrait bien avoir inspiré "Les Femmes Savantes" à Jean-Baptiste Poquelin.
Comme bien d'autres comédies légères de Lope de Vega, elle n'a jamais vraiment fait l'objet d'une traduction intégrale avant celle de Benjamin Penamaria pour la version mise en scène par Justine Heynemann qui s'était déjà intéressée à Lope de Vega en 2015 avec " La Discrète amoureuse" avec succès puisque son spectacle avait été nommé aux Molières.
C'est donc avec une grande curiosité que l'on attendait cette "Dama Boba", d'autant qu'entre temps, Justine Heynemann a mis brillamment en scène " Les Petites Reines" de Les Rois de la SuèdeLes Petites Reines", l'un des spectacles les plus originaux et réussis de 2018. Et le résultat est une fois encore probant. Avec une troupe de jeunes gens concernés et dynamiques, elle permet de découvrir un auteur du 17ème siècle qui anticipe avec beaucoup d'esprit les auteurs classiques français, et bien entendu le "divin Molière".
Dans cette comédie adaptée par Benjamin Penamaria et Justine Heynemann, on se doute qu'il y a à l'origine beaucoup plus de personnages et d'intrigues les liant qu'on en verra. Mais on sent vraiment que le travail d'adaptation n'est pas ici synonyme de trahison.
On saura déjà gréé aux adaptateurs de n'avoir pas situé la pièce à son époque, ne la guindant pas dans des costumes qui lui auraient donné un petit côté "Folie des grandeurs". On lui donnera aussi quitus de ne l'avoir pas totalement modernisé.
Pas question non plus de la jouer au "second degré", même si les chansons originales qui accompagnaient ce spectacle total de Lope de Vega ont été remplacées - entre autres - par des airs de Kiss ou de Britney Spears traduits en espagnol et par un final franco-espagnol signé Manu Chao.
Comme souvent dans le théâtre de l'époque, l'argument de "La Dama Boba" repose sur le mariage d'une héritière. Dans une famille aristocratique madrilène, celle du Seigneur Otavio (Stephan Godin), il y a deux filles.
L'aînée, Nise (Sol Espeche) est une jeune fille lettrée, sa petite sœur, Finéa (Roxane Roux), est considérée à tort ou à raison comme une sotte, une "Dama Boba". Or, celle qui va hériter sera Finéa et les prétendants qui se pressent pour l'obtenir vont devoir accepter sa bêtise ou feindre de l'accepter pour obtenir la fortune qu'elle représente... Mais c'est sans compter sur Laurencio (Antoine Sarrazin), poète et bon garçon, qui va attirer par les pesetas découvrent que la jeune fille est bien moins bête qu'elle en a l'air.
Comédie des apparences, pleines de personnages duplices pris entre appât du gain et appâts de l'amour, tel le sémillant Liséo (Rémy Laquittant) ou son alter ego Duerdo (Pascal Neyron), "La Dama Boba" donne une idée de ce qu'était le théâtre de Lope de Vega et prouve sa modernité.
Peut-être que le spectacle n'a pas encore atteint son maximum, notamment au niveau du rythme, mais il est déjà un très bon spectacle, qui vaut pour une distribution sans failles, notamment grâce aux deux jeunes filles, sœurs antithétiques, mais toutes les deux pleines d'allant. Leurs prétendants ont aussi le bénéfice de l'audace de la jeunesse.
Et l'on oubliera pas non plus les personnages de domestiques qui ont survécu à l'adaption (Turin, joué par Corentin Hot, et Clara par Lisa Perrio), et qui rappellent que les pièces de Lope de Vega étaient bien plus longues et traitaient à leur manière castillane de la lutte des classes.
Spectacle à la fois musical et théâtral, cette "Dama Boba" réjouira ceux qui aiment les pièces classiques, même s'ils ne les connaissent pas, et montrera aux autres toutes la modernité de cet auteur prolifique qui fit rire, sourire et parfois grincer des dents le siècle de Charles Quint et de Philippe II. |