A l’occasion de la 46ème édition du festival international de la bande dessinée, le dessinateur italien Milo Manara se voit consacrer une grande exposition rétrospective, riche de 150 planches originales et autres documents rares.
Le nom de Milo Manara évoque immédiatement ces chefs d’œuvre de la bande dessinée érotique que sont Le Déclic et Le Parfum de l’invisible. L’exposition présentée à Angoulême cette année prend délibérément le contrepied de cette voluptueuse réputation, choisissant plutôt de donner à voir la richesse de l’œuvre du maestro et comment celle-ci a évolué au fil de l’histoire de son pays mais aussi d’influences et de collaborations.
Parmi les premières nourritures artistiques, on trouve la Barbarella de Forest, qui a éveillé sa vocation d’auteur de bandes dessinées, et Moebius / Jean Giraud, dont on l’écho est durable chez Manara tant dans une certaine approche onirique de la narration, que dans l’utilisation d’un pointillisme très soigné pour restituer les volumes.
Si c’est l’illustration de fascicules (fumetti) érotiques qui mettent le pied à l’étrier du jeune Milo, son travail pendant les années de plomb est marqué par l’engagement politique. C’est sa rencontre, décisive, avec Hugo Pratt qui lui permettra de prendre ses distances avec la BD à message aussi bien qu’avec un formalisme emprunté.
En effet, le créateur de Corto Maltese n’a de cesse de pointer du doigt la prégnance de ses influences et l’invite à s’en libérer. C’est lui aussi qui l’initie au récit d’aventure. Giuseppe Bergman, le personnage qui a fait connaître Manara, est comme un double maladroit de Corto Maltese : comme lui voyageur et amateur de belles femmes, il est en revanche un anti-héros toujours plus ou moins perdu. Dans l’univers mi-réaliste mi-abracadabrant qu’il explore, c’est le "maître d’aventure" H P qui le guide. HP, comme Hugo Pratt, mentor de l’auteur.
La collaboration de Manara et de Pratt engendrera par ailleurs deux albums splendides, El Gaucho et Un été indien, dont l’exposition présente de nombreuses planches originales grand format, toutes un pur régal pour les yeux. Manara dans ce compagnonnage élargit le champ de ses possibilités graphiques, sans jamais devenir lui-même adepte des ombrages tranchés de l’auteur de Corto Maltese.
Que l’on se rassure : l’œuvre explicitement érotique est bien présente, mais astucieusement cantonnée à une petite salle centrale. On retrouve aussi bien évidemment ses fameuses créatures aux longues jambes tout au long des œuvres présentées, mais on découvre surtout combien l’amour de Manara pour les courbes ne se cantonne pas aux beautés du corps féminin. Certes, il se plaît à tracer croupes sinueuses et boucles denses, mais on retrouve une égale volupté dans la façon dont il dessine nuages, jungles et flots.
L’exposition se penche aussi longuement sur les rapports que Manara a pu entretenir avec le cinéma, et en particulier avec Federico Fellini, qu’il a accompagné de près sur la fin de son œuvre.
Outre l’intérêt que représentent les témoignages de cette collaboration étroite et multiforme, cette section est aussi l’une des seules où l’on peut voir des planches et illustrations en couleur (vu le talent de Manara pour l’aquarelle notamment, on aurait pu espérer en voir davantage).
On remarquera en particulier les planches de Voyage à Tulum et du Voyage de G. Mastorna, deux projets de films non aboutis ayant finalement trouvé à s’incarner en bande dessinée. Il est très drôle à cet égard de voir dialoguer les truculents storyboards de Fellini et les planches de Manara. Cette section de l’exposition présente aussi une très belle série de dessins au crayon sur papier de couleur.
Le parcours s’achève dans les magnifiques nuances de gris pour son récent album consacré au Caravage.
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