Alexandra Marzano-Lesnevich
(Editions Sonatine) janvier 2019
Pour ouvrir ses publications de l’année 2019, les éditions Sonatine ont fait le choix de sortir des sentiers battus du thriller ou autre polar noir pour rentrer dans l’univers du récit mêlant roman noir, autobiographie et journalisme d’investigation. Avec l’ouvrage d’Alexandria Marzano-Lesnevich, il frappe un immense coup en nous proposant un ouvrage incroyable que je ne suis pas prêt d’oublier.
En 2003, jeune étudiante en droit à Harvard, Alexandria Marzano-Lesnevich commence un stage dans un cabinet d’avocats en Louisiane dans le but de défendre les hommes accusés de meurtre. Enfant de deux avocats, elle est fermement opposée à la peine de mort. Jusqu’au jour où son chemin croise celle d’un tueur, Ricky Langley, emprisonné en Louisiane, pour le meurtre d’un enfant de six ans, dont la confession l’épouvante et ébranle toutes ses convictions. Elle se retrouve alors submergée par le sentiment de vouloir sa mort.
Choquée par sa réaction viscérale, elle creuse profondément et comprend ce lien inattendu entre son passé et cette terrible affaire. Plongée et hantée par le récit complexe de l’enfance de Ricky, elle est obligée de faire face à sa propre histoire. Pendant dix ans, elle va enquêter inlassablement sur les raisons profondes qui ont conduit Langley à commettre ce crime épouvantable.
C’est donc à l’indicible qu’elle va s’attaquer : le viol et le meurtre du petit Jeremy, retrouvé dans un placard de la maison de ses voisins. Cette histoire sordide va réveiller chez elle le souvenir de son grand-père qui la violait régulièrement, tout comme sa sœur. Autour de ces deux histoires, en mêlant fiction, récit et enquête, elle puise dans sa propre expérience de victime et s’interroge sur la peine de mort.
Rapidement, elle va trouver des points communs entre son grand-père et Ricky Langley, des êtres qui n’ont pas que du mal entre eux mais qui demeurent néanmoins de redoutables criminels sexuels. L’ouvrage alterne alors des récits qui s’alternent et s’entrecroisent. L’auteure nous raconte son histoire, les séquelles de son vécu qui la hante. Elle nous décrit celui qui l’a brisé, ce grand-père qui monte la violer le soir venu et sa grand-mère qui fait semblant de ne pas les voir. Les pages concernant les actes du grand-père sont terribles mais en même temps, elle prend aussi soin de nous décrire aussi les bons côtés de son grand-père. L’auteure nous raconte aussi ses années d’enquêtes autour du personnage de Ricky Langley mais aussi des passages de fiction dans lesquels elle imagine la vie des Langley.
Alors voilà, L’empreinte est tout simplement un immense livre, de ceux qui retiennent l’attention du lecteur pour longtemps tant il s’avère être déchirant. Complexe et complet, l’auteur nous propose une analyse réaliste de la justice à partir de l’affaire de cet enfant assassiné. Pour se faire, elle s’est plongée dans les dossiers et les comptes-rendus des différents procès de l’affaire. Les pages concernant ces procès sont particulièrement intéressantes.
L’empreinte est aussi un livre d’une très grande sincérité. L’auteure cherche sans cesse la vérité. Elle veut comprendre les tenants et les aboutissants, quelle que soit la complexité pour la trouver. Cette vérité se trouve en partie dans la famille des personnages, que cela soit pour Ricky Langley ou l’auteure. A chaque fois, la mère porte une partie des responsabilités du fait de leur absence.
L’auteure nous raconte aussi le poids pris par la pauvreté dans la vie des différents personnages. Chacun d’entre eux sont issus de familles très modestes, souvent endettées dans lequel l’alcool prend une place très importante. Sans être totalement responsables de leur déchéance, elle nous montre parfaitement le poids de la famille dans ces affaires.
Ce qui fait aussi la force de cet ouvrage, c’est la volonté de l’auteur de ne pas juger les autres. Une fois encore, le but n’est pas de juger mais de comprendre, quitte parfois même jusqu’à pardonner. Des passages totalement bouleversants sont présents dans le livre, particulièrement lorsqu’elle témoigne d’empathie à l’égard des différents bourreaux.
Alexandra Marzano-Lesnevich, professeur assistant d’anglais, s’avère être une femme incroyable, méticuleuse dans ses recherches et honnête dans ses écrits puisqu’elle nous précise à chaque fois ce qui relève de la fiction dans son livre. Son écriture est puissante, belle par sa brutalité et puissante par la précision de ses descriptions. Les scènes de crime sont particulièrement brutales, elle plonge le lecteur au cœur même de l’insoutenable avec un réalisme qui fait froid dans le dos.
L’empreinte est donc pour moi un livre rare, un livre qui dérange autant qu’il questionne, un livre passionnant et intense qui remue le lecteur. En se mettant autant à nue au travers de son histoire personnelle, l’auteure témoigne d’une force et d’un courage incroyable qui force le respect. L’ampleur de son travail de recherche est aussi admirable et l’ensemble forme un livre d’une puissance rare.
La lecture de cet ouvrage restera très longtemps dans ma mémoire. Je vous invite vivement à tenter cette expérience littéraire en vous prévenant que vous n’en sortirez pas indemne.
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