"Je hais le marathon. Je hais la course à pied. Une heure avant le départ, j’ai reçu un sms. Au lieu de "Bonne chance", j’ai lu "c’est fini entre nous". Alors, je suis entré dans un bar, à côté du métro de la 95è rue."
Voilà les premiers mots du roman graphique de Bernard Chambaz et de Barroux. Journaliste et dessinateur s’associent dans ce road-trip mélancolique, tout de noir dilué dans le blanc et de blanc délayé dans le noir.
L’album démarre sur le choc émotionnel d’une rupture. Alors que le narrateur s’apprête à s’élancer pour un marathon, le sms fatal lui coupe la chique et l’envie de courir avec le vent. Une pause dans un bar plus tard, il achète une moto et fonce vers l’ouest, sur la Lincoln Highway, route mythique qui traverse les Etats-Unis d’est en ouest.
"Au loin, on voit la barrière des montagnes rocheuses. On la voit longtemps même en roulant vite. A ce rythme, je n’échapperai pas à une brève séance de route de nuit. Mais j’adore ça : Le pinceau du phare, l’obscurité tout autour, la sensation de voler."
De rencontres en contemplations, le roman est un carnet de voyages, entre traversées solitaires et amis pour casser la croute. Le narrateur suit sa route, avance, se questionne sur le monde et ses habitants. Il déambule dans les décors des Etats-Unis, les mains sur le guidon et les yeux alentours, l’introspection présente et le chagrin qui s’effiloche en avalant les kilomètres.
"Je roule de nouveau sous un soleil timide. Je suis content d’apprendre que L’Indiana est le pays de la trompette et des noisettes". A vrai dire, moi aussi.
Lincoln Highway 750 n’est pas un album photo de clichés destinés à rendre jaloux les collègues restés dans la monotonie grisounette de leurs bureaux mal isolés. Il est avant tout un voyage intérieur, un récit initiatique exprimant la longue et lente remontée après l’échec. La lueur au bout du tunnel du narrateur est cette foutue côte ouest, son objectif de rémission, et le temps qu’il mettra à l’atteindre sera la distance nécessaire à sa reconstruction.
"Le tact est une qualité qui consiste à peindre les autres tels qu’ils se voient."
Chaque nouvelle rencontre, chaque moment de grâce, chaque ironie est un pas vers le mieux. Une manière de se relever en polluant la planète de vrombissements et de micro particules, certes, mais une volonté de se dégager du bourbier de la tristesse dont peu sont capables. Et rien que ça, c’est balèze. A recommander à tous les larmoyants de la planète, qui se complaisent dans leurs malheurs, le courage est dans ces graphismes délavés, dans ces traits floutés et ces paysages esquissés.
|