En 2004, Philippe Besson écrivait Son frère. A l’écran (Patrice Chéreau en tire un film du même nom), on ne voit que ça, la maladie. Le corps décharné, le combat, le dégoût, la peur, l’amour, la fraternité, l’impuissance, le désespoir de devoir quitter la vie trop tôt. Dans Un certain Paul Darrigrand, elle passe au second plan : chronologiquement puisqu’elle n’arrive qu’en deuxième partie du roman, et dans le contenu, car c’est d’amour qu’il y est question avant tout.
Ce 19ème livre de Philippe Besson, paru le 24 janvier 2019 aux éditions Julliard, poursuit la route de Arrête avec tes mensonges (2017). Au fil des mots, nos doigts tournent les pages comme ils écarteraient, doucement et avec délicatesse, les pans du rideau de la jeunesse de l’auteur.
Il a 20 ans, il va enfin découvrir la légèreté qu’il semble chercher depuis l’enfance. C’est la fac, un an pour obtenir le dernier diplôme avant d’entrer dans la vie professionnelle. Un an pour sortir, passer des soirées à refaire le monde entre amis, déambuler dans les rues après les cours, boire un verre, profiter des vacances scolaires. Ca devrait être ça. Pour Philippe Besson, ce sera un peu de ça, et l’amour. Et la maladie. L’amour en premier. Catapulté dès les premières pages car rencontré dès la première matinée à l’université. C’est Paul Darrigrand évidemment. C’est lui qui va s’imposer, venir créer l’histoire. Jouer l’ambiguïté ensuite ; celle qui fait s’inquiéter, se croire trop optimiste, fou d’avoir pu y penser, celle qui fait ressasser mille fois les phrases prononcées pour y décortiquer chaque mot, y trouver chaque sous-entendu possible, qui pousse à se confier à l’amie proche en espérant qu’elle confirme voire qu’elle encourage.
Il faut dire qu’il a de quoi être mal à l’aise ce Paul : il est marié. Pourtant, l’amour se fait et se dit, à l’abri, en cachette. C’est compliqué, c’est frustrant, c’est passionné et c’est si bien décrit sous la plume de Philippe Besson que ça touche chaque lecteur au plus profond de lui. Le talent (ou le don ?), ça doit être cela : parler de soi si justement, si profondément, qu’on en vient à toucher l’universel. Alors forcément, quand la maladie survient, elle passe au second plan. Parce qu’on est comme lui, embarqué dans son histoire d’amour, et que ses analyses inquiétantes, l’hôpital qui devient son univers principal, les bilans sanguins qui oscillent et vacillent, c’est important, mais si on tourne les pages avidement c’est avant tout pour savoir comment Paul va réagir, si l‘amour va continuer, s’il y aura des regrets, si les larmes qui couleront viendront de l’amant ou de l’épouse.
La maladie, on est comme le narrateur, on y est confronté mais ce n’est pas ce qui nous consume à ce moment là. Il faudra (re)voir le film donc, Son frère, pour se la prendre en pleine face et se demander comment on a pu passer autant à côté de l’horreur que ça a dû être, alors que, pourtant, tout était décrit… Car on relit, et on voit enfin véritablement cette épée de Damoclès, ces plaquettes qui fuient, les propos alarmants, les aiguilles qui s’enfoncent. Il y avait tout ça, mais comme il y avait Paul, c’était au second plan, pas vraiment là pour le narrateur, et pour nous non plus du coup, véritable tour de magie opéré par l’écriture de l’auteur.
Si on est sensible à l’univers de Philippe Besson, à son phrasé, à ses mots, à sa sensibilité, chacun de ses livres construit quelque chose en nous. On sort rarement indemne d’un de ses romans, de celui-ci peut-être encore moins. Un certain Paul Darrigrand touche, bouleverse, convoque nos souvenirs personnels, impose des questionnements. Il fait frémir la vie. C’est un sacré cadeau.