Monologue dramatique de Edouard Louis interprété par Stanislas Nordey. Sensible à la fonction politique du théâtre, Stanislas Nordey comédien, metteur en scène et directeur du Théâtre national de Strasbourg, a sollicité Edouard Louis, largement médiatisé comme la révélation littéraire de la saison 2014 avec "Pour en finir avec Eddy Bellegueule" relatant, dans le sillage de l'auto-socio-biographie pratiquée par la romancière Annie Ernaux, son enfance dans un milieu ouvrier et son parcours de transfuge de classe.
Celui-ci lui a donc proposé un monologue dramatique intitulé "Qui a tué mon père" qui se présente comme un témoignage autobiographique qui s'inscrit dans un registre documentaire qui a déjà largement investi les problématiques des populations défavorisées, de l'atavisme de classe et du déterminisme social.
Instillé de citations d'auteurs, philosophes et sociologues, il est constitué de fragments de souvenirs, décrits selon un pseudo naturalisme zolacien, d'une enfance encore proche, l'auteur étant encore vingtenaire, plus particulièrement rattachés à la figure paternelle, revus à l'aune du temps néanmoins écoulé face à père très diminué et malade.
Ce récit de résilience nove la révolte, la ressentiment et la rupture avec un père quasi archétypal d'un type social (famille nombreuse, pauvreté matérielle, misère intellectuelle, violence et alcoolisme, racisme sédimentés depuis des générations), en retour apaisé aux sources et en amour filial et insiste sur le sentiment récurrent de honte, infligée et éprouvée par le narrateur, honte induite par les autres, même de son propre milieu, honte de ses origines, honte de ne pas avoir été le fils de son père et honte de soi pour ses petites indignités personnelles
Et Edouard Louis, règlant son pas sur celui de son père spirituel, le sociologue Didier Eribon avec l'analogie de parcours avec "Retour à Reims", qui lui-même suit les traces du philosophe Pierre Bourdieu quant à l'oppression et à la violence sociales, achève son opus en manifeste virulent et accusatoire, là encore à la manière zolacienne, pour désigner nommément les politiques de haut niveau, présidents de la Réplique et ministres, comme assassins du peuple.
Conscient des faiblesses intrinsèques et dramaturgiques de ce premier opus écrit pour théâtre, Stanislas Nordey ne livre pas un monologue épuré de la parole seule. Il le met en scène au sens premier du terme avec la collaboration artistique de Claire ingrid Cottanceau.
Et, surtout, la scénographie de Emmanuel Clolus qui délimite l'espace du dire par un triptyque photographique en noir et blanc d'une modeste cité pavillonnaire de campagne et la matérialisation de la figure paternelle qui apparaît tel un fantôme démultiplié sous forme de mannequins-sculptures réalisés par Anne Leray et Marie-Cécile Kolly.
Et interprète, il use de tous les registres de jeu, de l'intime à la profération, avec son exceptionnel talent de passeur de textes. |