Maurice
G. Dantec a toujours été un écrivain ambigu apparaissant
souvent là où nous ne l’attendons pas, même si nous
y sommes maintenant habitués. Alors qu’il écrit une science
fiction noire, il fait preuve dans son analyse socio-culturelle d’une
lucidité et d’une pertinence rares. Toujours difficile à
situer, il n’a malheureusement pas la reconnaissance qu’il mérite.
Et le virage fantasque amorcé lors de Babylon Babies n’a
pas arrangé les choses. Mais la sortie aux éditions Librio de
Dieu porte-t-il des lunettes noires ? est un début
de consécration.
Cet ouvrage nous propose de découvrir plusieurs facettes de Dantec.
L’écrivain d’abord avec trois nouvelles extraites de "Périphériques",
recueil publié au printemps 2003. Ensuite le polémiste surtout
avec un interview exclusivement réalisée pour cette édition.
Science fictive
La première nouvelle, qui porte le même nom que l’ouvrage,
est un assez bon résumé de ce que l’on trouve chez Dantec.
S’appuyant sur le possible, le probable, les possibilités ouvertes
par la science et la technologie aux humains, qui ne sont parfois encore que
simples hypothèses, Dantec construit une histoire fantasque - tique qui
possède un écho philosophique puissant.
Malheureusement le style est lourd. L’emploi de guillemets, de métaphores
et d’analogies foireuses ("la télétransmission
de personnalité n’est quand même pas aussi simple que le
maniement d’un flipper…" ) truffent considérablement
le récit de pièges et leur profusion peuvent laisser à
la limite de l’indigestion. Bien que l’ombre de William Gibson(1)
plane sur le texte, on regrette la fluidité du style de ce dernier qui
en moins de quelques mots parvient à décrire qu’elle chose
d’inexistant.
Mais, parce qu’il y a un mais, ce que Dantec parvient à construire
sur ces bases, sur ce début laborieux, est une puissante allégorie
philosophico religieuse. Ainsi, Dantec a nécessairement besoin d’énoncer
un certain nombre de postulats, d’axiomes, tous potentiellement probables,
pour donner du sens à son récit et développer ses idées.
Dans cette nouvelle il pose une question d’une pertinence époustouflante
et malheureusement d’actualité dans une société où
la mémoire historique est hyper sélective et / ou remonte aujourd’hui
à peine au début des eighties.
La construction de "THX Baby" est du même ordre et
touche également au mystique. Une espèce de roublardise télévangéliste
programmable par l’ingestion d’une drogue logicielle dont le but
est le déboguage de ce nouveau psychotrope informatique. Moins puissant
mais plus fluide et mieux digérable.
La troisième nouvelle est plus classique, réaliste et ressemble
un peu à du Ravalec(2)
version polar. Peut être en mieux.
Victions(3)
Le recueil se termine par une interview exclusive de Maurice G. Dantec. En
général il est très difficile d’appréhender
une interview de l’auteur. Il a l’habitude, dans ses interviews
(comme dans ses bouquins) de mélanger scientisme, philosophie, sociologie
et de générer une tambouille mixée mais hétérogène.
Donc selon l’interviewer, l’entretien est soit très light
et on apprend rien, soit il est plus sérieux et là on ne comprend
rien : Dantec se perd dans des explications / justifications / définitions
/ sous entendus que seuls lui et une (quelques) poignée(s) d’initiés
sont capables d’appréhender.
C’est la que ce recueil se démarque : l’interviewer évite
ces deux écueils, pose des questions suffisamment ouvertes pour que Dantec
puisse s’exprimer mais aussi plutôt fermées pour qu’il
ne se perde pas trop en digressions pseudo philosophico sociologiques. Il faut
avouer que lorsque le cadre est bien défini, Dantec est réellement
capable du bon comme lorsqu’il tente de définir son type d’écriture
: "Je suis un maçon amateur qui essaie d’édifier
une cathédrale".
Tous les mots sont importants et chargés de sens. Sa phrase, lourde de
conséquences. Il est même capable du meilleur, faisant office de
visionnaire de malheur. Ainsi lorsqu’on lui suggère de donner son
opinion sur la "nouvelle" violence urbaine de la société
française et son irrésistible ascension : "Il s’agit
du signe terminal de la fin d’une civilisation."
On vous croit M. Dantec, on vous croit. Malheureusement…
Lecture conseillée : Babylon babies |