Après, et entre autres, l'italien Maurizio Cattelan*, l'indien Subodh Gupta** et l'anglais Grayson Perry***, la Monnaie de Paris poursuit son périple international de l'art contemporain et de ses figures emblématiques avec une première rétrospective parisienne consacrée à l'allemand Thomas Schütt.
Nonobstant sa renommée internationale, si ses oeuvres sont très présentes dans les collections tant privées que muséales, et, depuis 2017, dans l'espace public français avec un exemplaire unique de la sculpture "Weinende Frau Nr. VI - La femme qui pleure" installée dans la ville de Chagny en Bourgogne-Franche-Comté, elles sont moins connues du grand public ou du moins, pour certaines, difficilement rattachées à son nom tant l'homme s'avère discret. Bienvenue est donc cette rétrospective dont l'intitulé "Thomas Schütte - Trois actes" renvoie à une de ses œuvres historiques "Dreiakter", oeuvre de jeunesse réalisée en 1982, significative de parti-pris formels érigés en fondamentaux. Conçue comme un triptyque selon un dispositif peinture-installation avec trois toiles monumentales en résonance avec une scénette miniature en bois découpé, elle est conçue comme une dénonciation satirique de la reconstruction économique et des symboles nationaux de l'essor économique représenté par la production industrielle en série ("1. Akt"), le sigle de la frime automobile Volkswagen ("2. Akt") et la victoire avec le pavois de drapeaux ("3. Akt").
Cette référence annonce la démarche des commissaires de mettre en exergue la caractéristique principale de l'oeuvre protéiforme de ce sculpteur, peintre, plasticien et architecte qui tient à sa théâtralité par sa pratique de la mise en scène du drame existentiel.
De plus, Camille Morineau et Mathilde de Croix, respectivement directrice des expositions et des collections et commissaire d'exposition à la Monnaie de Paris, ont placé l'exposition sous un signe trinitaire - "Trois temps, Trois thématiques, Trois niveaux de lecture" - pour appréhender le protocole de l'artiste quant à la mise en espace des oeuvres, la mise en abime du regard et la remise en question permanente du sujet abordé.
Thomas Schütte : "introduire un point d’interrogation tordu dans le monde"
Déployée en trois sections dédiées à la représentation de la figure humaine, de la mort et à l'architecture, la (dé)monstration en 60 pièces, dont 6 produites à l'occasion de l'évènement, complétée par l'installation, en accès libre, de 11 sculptures monumentales dans les cours du bâtiment, dresse un panorama d'une oeuvre sur trois décennies pour laquelle l'auteur indique "créer pour se divertir".
Se divertir sans doute pas dans le sens festif du terme mais pour se détourner, de manière cathartique, d'une angoisse métaphysique, notamment celle de la finitude humaine qui inspire sa première oeuvre "Mein grab" en 1981, la maquette de sa tombe en forme de maison qui s'avère non une modeste stèle mais un gigantesque mausolée représenté sur une toile avec deux personnages pour ancrer les proportions.
Celle-ci se caractérise par la polyvalence artistique sculpture, peinture et installations, le travail sériel sur des thématiques récurrentes, la déclinaison permanente de "modèles" formels élaborés dès sa sortie de l'Académie des Beaux-Arts de Düsseldorf, l'expérimentation de l'échelle, du monumental à la miniature, et la diversité des médiums utilisés, de la pâte à modeler au métal.
Et, très vite au fil de la visite, se dégagent deux constats s'imposent. Considéré comme "le réinventeur de la sculpture", Thomas Schûtte s'inscrit dans l'héritage immémorial de la statuaire figurative. En premier lieu, de la sculpture antique avec les bustes de la série des "Wichte" en céramique des années 1990 ou ceux subséquents en verre de Murano de la série "Glaskopf"
Ensuite, la sculpture classique en ronde-bosse pour les figures masculines, de "L'homme au drapeau","L'homme dans la boue", les "Fratelli", le "Père Patrie" et les récents "Hommes dans le vent" de 2018 et la sculpture moderne avec les corps de femmes sur d'imposants socles métalliques de la série "Frau" qui évoquent celles d’Henry Moore.
D'autre part, la filiation avec l'expressionnisme allemand et le grotesque viennois pour exprimer le monde davantage que le montrer, le ressenti intérieur prévalant sur la réalité figurative, avec des visages aux expressions grimaçantes, avec un vocabulaire primordial ancré dès 1993 avec la série "United ennemies" sous-titrée "A play in ten scenes" de petits bonhommes en pâte Fimo ligotés par paire dont certains en version sculptée en 2011 sont présentés en extérieur.
Quant aux oeuvres non figuratives et aux maquettes d'architecture, dont la "Maison pour une personne" qui ressemble à une lanterne magique et les maisons de vacances pour terroristes aux plans multicolores, elles sont placées sous influence du Bahaus.
Ainsi "Gartzenzwerge" comportant une série de nains de jardin réalisés en 2017 en hommage au décorateur de théâtre et scénographe de ballet Oskar Schlemmer et à son "Ballet triadique" en forme de sculpture chorégraphiée auxquels Thomas Schütte qui ressemblent à des urnes funéraires comme les jarres de l'installation "Family" datant de 1998 mise en regard
Contrairement à ses prédécesseurs,Thomas Schütte n'a pas créé de médaille originale mais la Monnaie de Paris propose la reproduction de quatre de ses aquarelles ("Blume", "Alte Freunde", "Woche" et "Luise") en mini-médailles en forme de jeton de bridge, jeu pratiqué celui-ci, réalisées par ses artisans d'art.
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