Monologue dramatique de Patrick Kermann interprété par Olivier Dutilloy dans une mise en scène de Anne-Laure Liégeois. Inscrite dans l'héritage du théâtre kantorien, l'oeuvre du dramaturge Patrick Kermann porte essentiellement sur la voix des revenants, celles des disparus, des abandonnés, des "escamotés" et des fantômes, dont chacun a été un homme, qui relate tant les drames intimes que le désastre du monde.
Ecrit en 1992 et annonçant les soliloques narratifs de son oeuvre majeure subséquente "La Mastication des morts", le désastre de son deuxième opus "The Great Disaster" sous-titré "tragédie maritime", est celui du naufrage, éperonné par un iceberg lors de sa traversée inaugurale en 1912, du paquebot transatlantique Le Titanic réputé insubmersible et celui des petites gens qui ont rejoint le monde du silence et le peuple du cimetière marin.
Cet éblouissant et saisissant monologue commence comme un conte, ainsi il était une fois un berger, un coeur simple, mais n'alimentera le corpus fabuleux. Car, après une jeunesse passée dans ses montagnes natales du Frioul à garder les chèvres, et rêvant d'un avenir meilleur, il a rejoint la cohorte des migrants et sillonné l'Europe en vaine quête d'intégration pour enfin entrevoir la terre promise en embarquant pour l'Amérique à bord du bateau fatal.
Et pas même, faute d'argent, comme passager de troisième classe entassé dans l'entrepont mais dans la soute, employé à la plonge dans les cuisines, pour un rêve qui ne durera que "cinq jours à laver les petites cuillères" et "l’éternité pour raconter toujours la même histoire".
La partition composée de séquences introduites de manière anapahorique avec le nom du protagoniste, "Moi, Giovanni Pastore" qui rapporte son flux de pensée oralisé comporte également un tissage de voix autres dont il est le passeur, hors du temps et de l'espace, "J'aime les voix issues de la nuit des temps qui nous parlent de notre temps et nos nuits" indiquait l'auteur, ce qui lui confère une dimension mythique.
A la mise en scène, Anne-Laure Liégeois qui la connaît bien pour l'avoir déjà explorée en 2014, en propose un dispositif différent en opant pour un minimalisme radical tant scénographique, avec un plateau nu, que dramaturgique en imposant le statisme à l'officiant pour privilégier la dramturgie sonore impulsée par la composition rythmique du texte qui impulse celle de la voix.
Debout face à la salle, bras le long du corps, Olivier Dutilloy demeure dans une immobilité absolue, qui évoque la pétrification de la statuaire, et ce jusqu'à la tétanisation que traduit la légère crispation des mains.
Une performance physique qui se double d'une époustouflante incarnation pour (dé)livrer la parole d’outre-tombe et incarner la survivance des mémoires par un émérite et admirable travail du souffle et du dire.
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