Organisée par la Réunion des musées nationaux-Grand Palais et le Musée national d’art moderne-Centre Pompidou sous le commissariat de Nicolas Liucci-Goutnikov, conservateur audit musée, l'exposition "Rouge - Art et Utopie au pays des Soviets" se déploie de manière pluridisciplinaire pour dresser un panorama de l'art en Russie soviétique durant les décennies 1917-1953 de la Révolution d'Octobre à la mort de Staline.
Elle se décline en un parcours chrono-thématique appuyé de quatre centaines de de pièces, pour la plupart inédites, de la maquette à la peinture monumentale en passant par des documents d'archives graphiques et cinématographiques.
Des avant-gardes modernes au dogme du réalisme socialiste
Inscrite dans le registre de l'interférence entre le politique et l'artistique, la monstration revêt un triple intérêt. En effet, et en premier lieu, elle propose au visiteur de réviser son Histoire de l'Art soviétique qui constitue un avatar de l'art officiel érigé en instrument de propagande au profit du pouvoir étatique. Ensuite, elle révèle l'instrumentalisation des artistes dans un parcours chronologique rendant compte de la stratégie du pouvoir autoritaire qui va devenir une dictature avec l'arrivée de Staline. Enfin, elle permet d'apprécier les oeuvres placées sous le dogme du réalisme socialiste qui, et ce, de manière paradoxale, constitue un retour à l'académisme figuratif.
En 1920 commence la décennie utopique avec l'avant-garde des artistes pré-révolutionnaires engagés dans le cubo-futurisme, le suprématisme et le constructivisme, qui soutient l'art officiel de la Révolution russe, dont, les plus connus, Kazimir Malévitch, Vladimir Maïakovski, Alexandre Rodtchenko,Lazar Lissitzky et Vladimir Tatline. Ils prônent la rupture avec l'art dominant qualifié de bourgeois, et notamment les genres picturaux, la démocratisation de l'art, la fusion de l'art et de la vie et, selon la redéfinition marxiste, la dimension sociale et utilitaire de l'art qui ne doit plus être destiné aux demeures des élites et à la momification dans les musées mais envahir la rue et les lieux prolétaires.
A ces fins et en quête de formes nouvelles, ils oeuvrent dans le domaine des arts plastiques, graphiques et visuels avec des images souvent associées à un
slogan. Adhérant au projet communiste, ils portent et véhiculent auprès des masses populaires des idées et des messages clairs et simples célébrant l'édification d'une société idéale en créant une véritable signalétique communiste.
A cet égard, une place importante est réservée à l'architecture dans le cadre de la commande sociale en conformité avec l'utopie de la ville idéale et le principe du collectivisme, de l'habitat au club ouvrier.
Puis, parallèlement, avec la construction de bâtiments et d'infrastructures, puis, et de manière paradoxale, de projets pharaoniques de modernisation et d'élaboration avec des bâtiments ostentatoirement monumentaux de style classique destinés au rayonnement international du socialisme.
Ensuite l'art "de gauche" est disqualifié, accusé de subjectivisme, de formalisme bourgeois voire de "rêverie philosophique", ne correspondant pas à l'âme simple des masses laborieuses et ses adeptes relégués, au mieux, dans la dissidence.
Et en 1932 est proclamé le dogme du réalisme socialiste, toutefois non défini ce qui laisse toute latitude à la censure, qui se traduit, là encore paradoxalement, par un retour à la figuration quasi académique qui tend à l'imagerie populaire simpliste et ressort à l'art de la propagande.
Ainsi il se manifeste par la figuration héroïque, celle de l'homme nouveau, homme du peuple, paysan, ouvrier ou militaire, et héros anonyme, qui évoluera vers la mythification du "petit père des peuples" et le culte de la personnalité, et la peinture d'histoire mettant en scène l’histoire contemporaine soviétique.
S'appuyant sur des artistes post-révolutionnaires tels Alexandre Gerassimof, Alexandre Deïneka, Youri Pimenov, Alexandre Samokhvalov, Alexeï Pakhomov et le peintre officiel Sergei Gerasimov, au demeurant absent de cette exposition, qui représentent un monde idéalisé, celui des lendemains qui chantent, avec des scènes de genre lénifiantes alors que sévit la "terreur rouge". Les lendemains ne chanteront pas avec en 1936 le début de la "terreur rouge" et ses purges de masse. |