Monologue dramatique de Bernard-Marie Koltès, mise en scène de Cécile Rist, avec Guillaume Tobo et Bastien d’Asnières. Un homme aviné, déclassé et étranger, en quête d'une chambre par une nuit pluvieuse, et dont sera révélé qu'il a été victime d'une rixe, et plus précisément une agression raciste, est en proie à une intarissable logorrhée, à la manière de celle de certains "sans domicile fixe" refaisant le monde.
Telle est la situation développée par le dramaturge Bernard-Marie Koltès dans "La nuit juste avant les forêts" opus constitué, tel un flux de pensée, de ressassements décousus, de divagations paranoïaques et de délire conspirationniste visant la masse laborieuse asservie par le grand capital, et de forme monologale mais écrit comme un dialogue avec un interlocuteur indéterminé et muet qui donc n'apporte jamais ni assentiment ni contradiction.
Ecrite en 1977, la partition brasse les thématiques sociales récurrentes du temps et de l'oeuvre Koltès sur l'altérité, l'injustice sociale, le syndicalisme ouvrier, l'intolérance avec l'homophobie, le racisme ordinaire avec les "ratonnades" placées sous la vision koltésienne du marginal et de l'exclu considéré comme "voyant", au sens poétique du terme, sur la réalité du monde qui délivre sinon la vérité du moins une parole qui dérange.
Là où Patrice Chéreau, grand spécialiste du théâtre de Koltès, faisait abstraction du public et plaçait le personnage sur un lit d'hôpital pour une interprétation distanciée, Cécile Rist prend le contre-pied en optant judicieusement pour une mise en scène diamétralement opposée qui ressort au "Yer-in-the face" avec un homme debout, errant, entre abattement et accès de rage, avant de s'effondrer.
Ainsi, dans les lumières crépusculaires de la nuit urbaine élaborées par Carole Van Bellegrem, le texte est délivré en adresse au public et ce, dans la plus grande proximité, effaçant complètement le quatrième mur non seulement avec le comédien à quelques centimètres de celui-ci mais en corporéisant l'interlocuteur en désignant à cet effet un spectateur qui passera de la salle au plateau. Ponctué par quelques virgules musicales dont des riffs de trompette à la Miles Davis, assurées par Bastien d’Asnières, le spectacle s'inscrit dans un naturalisme incarné porté par Guillaume Tobo, acteur et comédien aguerri. Et il délivre une très convaincante prestation performative qui met en relief la pérennité des problèmes sociétaux évoqués. |