"A travers l’histoire du quatuor, c’est donc une histoire de la musique qui s’exprime et une histoire de la pensée telle que la musique (...) est susceptible de la façonner, de la porter et d’en traduire le déploiement dans les zones irrationnelles qui sont les siennes" Bernard Fournier
"Ne garde plus le secret de ta surdité, même dans ton art" L.V. Beethoven
"La corrélation entre cette pathologie et la musique comme expression et sublimation ou dépassement de cette pathologie" Bernard Fournier
"Les petites partitions des quatuors de Beethoven (le plus de substance dans le minimum de poids) ne m’ont pas quitté pendant des années... Ainsi cette forme épurée de la musique est devenue pour moi la forme essentielle, bien que je n’aie point dédaigné la symphonie et le théâtre, qui ne sont d’ailleurs que des aboutissants. Et puis j’ai passé trente ans à contempler des horizons vastes, des étendues à la fois uniformes et infiniment variées, des cieux illimités, à respirer des atmosphères vierges, à vivre de grands calmes ou d’immenses tourmentes : j’ai contracté l’amour de tout ce qui est pur... La musique de chambre a eu et aura toujours mes préférences... pourtant j’ai écrit avec une joie profonde certaines œuvres d’orchestre comme mon Journal de bord. Je suis attiré par tout ce qui est poésie délicate et profonde..." Jean Cras
De prime abord, il n’y a pas grand-chose qui relie Ludwig van Beethoven à Jean Cras, hormis une passion commune pour la musique, l’affection du second pour le premier et l’écriture du quatuor à cordes. Le Quatuor Midi-Minuit (Fabienne Taccola et Jacques Bonvallet aux violons, Delphine Anne à l’alto et Christophe Oudin au violoncelle) a eu l’excellente idée de mettre en parallèle le premier quatuor "à ma Bretagne" de Jean Cras avec le quatuor opus 18 n°3 de Beethoven.
Tout comme George Antoine, Florent Schmitt ou Charles Tournemire, pourtant admiré par ses contemporains comme Roussel (un autre marin...) et Ravel, Jean Cras (1879-1932) est tombé dans un oubli poli. Officier de marine, il conciliera vie maritime, il est notamment l’inventeur de la "règle Cras", et passion pour la musique. C’est Duparc qui l’encourage à composer trouvant en lui un "fils spirituel".
Mélodiste, coloriste, parfois impressionniste, trop peu novateur pour certain, Jean Cras aura aussi bien composé pour piano (les poèmes intimes, les paysages...), pour orchestre (Journal de bord, Ames d’enfants), des mélodies, de la musique de chambre (quintette avec piano, quintette pour harpe, flûte, violon, alto et violoncelle, trio à cordes...) et Polyphème, drame lyrique en quatre actes et cinq tableaux sur un poème de Albert Samain.
Chez lui, les mouvements de la mer tiennent une part non négligeable et l’on trouve quelques traces d’exotisme, redevables de quelques escales lointaines. Moins remarquable que Polyphème, son concerto pour piano, son quintette avec piano ou celui très beau pour harpe, flûte, violon, alto et violoncelle son quatuor montre sa maîtrise du contrepoint, une construction en leitmotiv récurrents et son envie continuelle de travailler les atmosphères et les couleurs dans un discours plutôt clair.
Son quatuor ne possède naturellement ni la force expressive ni les pures qualités d’écriture, ce "lieu privilégié de réflexion, de mise en question et d’intériorisation" comme le rappelle Bernard Fournier de celui de Beethoven. Un quatuor plein d’audace et d’originalité qui s’amuse avec les asymétries.
Alors, n’hésitez pas embarquer ! |