Réalisé par Neus Ballus. Espagne/France. Comédie. 1h39 (Sortie le 7 juillet 2019). Avec Elena Andrada, Sergi López, Diomaye A. Ngom, Ian Samso, Madeleine C. Ndong et Margi Andújar.
Il y a deux ans, "Gabriel et la montagne" de Fellipe Gamarano Barbosa abordait la question des "jeunes touristes" occidentaux croyant pouvoir s'affranchir justement des rapports touristiques traditionnels avec le monde, et particulièrement avec l'Afrique.
Il s'agissait d'un jeune Brésilien, mais appartenant à la classe supérieure "mondialisé", voyageant en pensant qu'il n'avait rien à voir avec le touriste "beauf" post-colonial et cherchant à entrer en contact avec les populations locales directement en sautant les barrières raciales et monétaires...
On ne doutait pas de sa sincérité mais on y lisait une grande naïveté qui niait les évidents rapports de force que sa seule présence engendrait.
Moins tragique, et moins subtil, "Le Voyage de Marta " de Neus Ballus reprend des thèmes voisins. Ici, il s'agit d'une jeune fille de 17 ans, Marta, qui accompagne son père, voyagiste, au Sénégal où celui-ci met au point des "tours" pour des catalans avides de découvrir l'Afrique.
L'histoire est double : avec son petit frère Bruno, elle découvre son père dans son travail en même temps qu'elle s'immerge dans l'Afrique. Le film alterne ainsi les plans "touristiques" en jeep où l'on voit les parcours proposés aux clients de Sergi Lopez et la vie de Marta dans l'hôtel où ils sont en résidence.
Vite lassée par les mojitos et les soirées folkloriques, Marta s'intéresse au "off" du séjour de rêve que son père compose. Pour cela, elle franchit la barrière symbolique, celle du "Staff only" (titre original du film) e va à la rencontre de jeunes Africains à peine plus âgées qu'elle, à savoir Khouma le photographe du club et Aïssatou une femme de chambre.
Comme pour Gabriel, le franchissement de cette barrière ambivalente, à la fois visible et invisible, va s'avérer riche en conséquences.
Les bonnes intentions vont se transformer en "petit enfer" pour Marta qui va s'apercevoir qu'elle est, qu'elle le veuille ou non, de l'autre côté de la pancarte "Staff Only", qu'elle est une touriste même si elle ne se voit pas comme ça. Son ouverture d'esprit, qu'elle croit pure et guidée par la recherche antiraciste de l'altérité, a ses failles.
Si elle va apparemment voir autre chose que ce que verront les touristes formatés par son père, elle va aussi interférer sur une société où elle n'est que de passage et dans laquelle elle possède avec ses devises un pouvoir corrupteur ou tout au moins qui biaise ses relations possibles avec la population sénégalaise.
"Le voyage de Marta" de Neus Ballus ajoute une dimension que n'avait pas "Gabriel et la montagne" : Marta pratique – mais sans aisance – le français
Elle n'est pas, comme son compère brésilien, prisonnière du pidgin international qui réduit les échanges avec les Africains à des rapports commerciaux ou à des renseignements sur comment atteindre les étapes choisies. Elle entre vraiment en communication avec les Sénégalais et est donc amenée à se croire plus proche d'eux qu'elle ne l'est vraiment.
Tout à l'heure, on avait écrit que le film était moins subtil que "Gabriel et la montagne". Sa résolution est au moins claire et volontairement optimiste : Marta est encore jeune et si elle sait désormais qu'un court séjour à l'étranger oblige à rester du côté des "touristes", on peut aussi s'en émanciper en étant attentif à l'autre et en n'étant pas dupe des biais possibles, comme le sentimentalisme...
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