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Interview  (Paris)  lundi 8 juillet 2019

C’est au cœur de l’été sur une terrasse pas loin du canal de l’Ourcq, juste avant d’enregistrer une session, que nous discutons avec Joseph Fisher, et si nous lui confions que nous ne sommes pas forcément à l’aise avec les interviews n’étant pas vraiment journaliste, il répondra d’un "je déteste les interviews, je déteste les journalistes en étant un moi-même". Le ton est donné...

Dans ton premier EP, il y avait une petite carte d’identité, et on y lit que Joseph Fisher est né le 13 juin 2014, un vendredi, un soir de Brésil - Croatie, d’Espagne - Pays-Bas... Est-ce que ça a un rapport ? Qu’est-ce qu’il s’est passé le 13 juin 2014 ?

Joseph Fisher : Ecoute je ne sais plus très bien, je crois que c’est surtout la date à laquelle Patrice Mancino qui s’occupe du label Quixote, sur lequel j’avais sorti mon premier EP, a sans doute déposé les masters pour qu’on puisque sortir ce disque en format vinyle. Je crois que c’est lui qui s’est occupé de la date, donc globalement c’est une date qui ne me dit absolument rien !

Comment est né le projet Joseph Fisher ?

Joseph Fisher : Ça fait des années et des années que je fais de la musique. J’ai fait beaucoup de basse pour l’essentiel d’ailleurs, dans des groupes parisiens et puis j’ai toujours été intéressé par le chant et la guitare, j’ai mis beaucoup de temps avant de me faire confiance, j’écrivais des choses que je ne trouvais pas bonnes du tout, donc j’ai eu la bonne idée de ne pas les enregistrer, ni de me produire. À un moment donné il y a eu une sorte de déclic, c’était vers 2009 je pense, ça fait à peu près dix ans où j’ai pu franchir ce cap là en m’appuyant sur un truc génial qui s’appelle les Open Mic. En l’occurrence ceux du Pop In, après il y en a eu d’autres, mais ça a vraiment commencé là.

Je m’étais rendu compte que j’étais très angoissé de monter sur scène, tout le temps, quoi qu’il arrive même quand j’étais juste bassiste, et que je commençais à être à l’aise quand arrivaient les deux dernières chansons du concert. L’avantage de l’Open Mic, c’est que les deux dernières chansons du concert sont également les deux premières, donc j’étais tout de suite bien parce que je savais que c’était fini dans deux chansons et que globalement ça allait bien se passer ! C’est une formidable école, ça m’a permis de prendre confiance dans mon chant, dans mon écriture et même de parfois être tout à fait étonné pas les réactions du public, je crois vraiment que ce projet il est né dans la cave du Pop in !

Justement, on parle souvent de Joseph Fisher en termes de "projet" alors que l’on a l’impression que tes chansons sont très personnelles, c’est par protection, par volonté de créer un personnage ?

Joseph Fisher : C’est très intéressant parce que "projet", c’est quelque chose que je retrouve très souvent dans des articles qui sont écrits à mon propos et je crois que c’est un mot que je n’ai jamais employé. "Projet", ce n’est vraiment pas du tout un mot qui fait partie de mon vocabulaire bizarrement. Pour moi, Joseph Fisher n’est pas un projet, ce n’est pas comme ça que j’envisage les choses ; pour moi c’est une continuation. C’est aussi un nom d’artiste parce qu’effectivement, je n’ai pas vraiment l’impression d’être un artiste donc je me suis peut-être créé une identité d’artiste avec ce nom, c’est plus une façon d’appeler une partie, une forme de ma personnalité... Mais on m’a fait remarquer qu’en vrai je parle souvent politique, que j’étais quelqu’un de drôle, il paraît, mais que ça ne se sentait pas trop dans mes chansons, et je suis assez d’accord avec ça. Mais précisément c’est pour ça que je l’ai fait, parce qu’on a tous une part de noirceur ou de tristesse, je n’ai pas l’impression d’être plus triste que la moyenne mais j’ai une façon de l’extérioriser et ça m’évite pas mal de séances de psy.

Sur ton disque, il est noté qu’il est à propos des filles, des salauds et de l’amitié. Moi je pense qu’il y a un peu de sexe aussi…

Joseph Fisher : Tu remarqueras que ce n’est pas du tout incompatible avec les trois, ce n’est pas exclusif !

Ce sont des thèmes assez classiques dans la chanson française et tu te revendiques, j’imagine, comme un chanteur français. Est-ce que ce n’est pas compliqué à partir de là de se créer un propre univers et de ne pas être dans la redite ?

Joseph Fisher : Je crois que si on se dit ça, on arrête tout de suite et on ne le fait pas. Je pense que toute personne, même des artistes pour lesquels je n’ai pas spécialement d’empathie ou d’intérêt, tous autant qu’on est, quand on décide de faire de la musique c’est parce qu’on a une idée, qu’on a vaguement quelque chose à raconter que les autres ne racontent pas. Il y a une part de prise de risque, qui est quand même très relative mais quand on a passé la vingtaine, ce qui est mon cas depuis longtemps, aller se présenter devant un public pour chanter ses chansons, si on est sensible à la question du ridicule par exemple, c’est compliqué. Donc si on n’est pas persuadé qu’on a quelque chose à raconter et qu’on y croit, on ne peut juste pas le faire. La question ne se pose pas donc, je le fais parce que j’ai envie, j’ai besoin de le faire et que je trouve ça pertinent.

Pour poursuivre je te propose un petit jeu : je vais te citer des chansons qui sont inspirées ou qui ont un lien avec tes chansons, tu me dis de quelle chanson il s’agit et ce que tu en penses... "Il n’y a pas de jolie fille à droite" – Theo Hakola

Joseph Fisher : Evidemment "Les Jolies Filles", je la connais cette chanson, je ne suis pas un grand fan de Theo Hakola même si je connais le bonhomme et qu’il a écrit une floppée de belles choses. Je trouve que c’est intéressant parce qu’effectivement, il y a cette espèce de dimension totalement aberrante d’introduire une idée de politique sur les jolies filles, mais qui peut s’entendre aussi qu’une jeune fille pour qu’elle soit jolie il faut qu’elle soit maladroite. Il y a une ambiguïté là-dedans que je trouve intéressante.

Dans ta chanson sur les jolies filles justement, tu dis qu’elles ont plus malines de ce qu’elles en ont l’air…

Joseph Fisher : Absolument, mon idée était effectivement celle-là. J’ai d’ailleurs écrit sur ce sujet une autre chanson qui n’est pas encore sortie, sur ce que j’appellerai "la malédiction du physique". On a l’impression que ça ne peut s’appliquer qu’aux gens difformes, laids, alors que c’est relativement général. Par exemple, il existe des personnes qui pensent que si certaines sont arrivées là où elles sont, c’est parce qu’elles ont couché, parce que c’est malheureusement plus pour les femmes. On a tendance à leur nier toute possibilité d’être là parce qu’elles ont de la valeur mais c’est forcément lié à leur physique.

Pour cette chanson c’était cette idée : derrière les jolies filles que beaucoup de mecs convoitent parce qu’elles auraient un côté trophée, il y a des personnes avec une sensibilité qui n’est pas juste une façade...

"Je t’ai dans la peau" – Edith Piaf

Joseph Fisher : Alors celle-là je ne la connais pas, pourtant j’en connais un sacré paquet d’Edith Piaf… Ha mais si bien sûr ! Je vois que tu fais référence à "J’aurai ta peau" ; Piaf c’est quelqu’un que je trouve hyper intéressant et il y a tellement de choses intéressantes à part "Milord" et "Rien de rien", que c’est dommage de passer à côté de ça. Je pense que je l’ai trop entendue quand j’étais enfant, c’est vraiment un drame...

Est-ce que tu considères que tu fais des sortes de chansons réalistes ?

Joseph Fisher : Je crois qu’il y a de ça. Une volonté délibérée par exemple d’employer des mots du quotidien, de parler de choses qui me touchent moi mais qui, comme elles sont très concrètes et très réelles, touchent un peu à l’universel. Même si dans une certaine mesure il y a aussi un versant politique dans la chanson réaliste qui est présent, mais de manière beaucoup plus détournée chez moi. Mais oui je pense que je fais de la chanson réaliste, absolument.

"L’amour à Trois" – Stereo Total

Joseph Fisher : Oh je ne connais pas, j’imagine que c’est pour "Partageur et partagé"…

Exactement ! Ta musique est très acoustique guitare, basse batterie, Stereo Total eux vont être plus dans l’électronique, comment tu entrevois la manière de créer tes arrangements ?

Joseph Fisher : Disons que je compose guitare voix, donc il y a un peu de ça. Je ne m’aventure pas en terrain très inconnu, je suis guitariste, c’est l’instrument que je maîtrise le mieux avec la basse, je tripatouille vaguement des claviers mais ce n’est pas très concluant et il y a quelque chose de très organique pour moi dans cette façon de faire. Je constate que bon nombre d’artistes actuels utilisent beaucoup de claviers, des sons des années 80, etc. Outre le fait que ce n’est pas ma tasse de thé parce que j’étais enfant et ado dans les années 80, et que quand on a vécu les années 80 on peut difficilement en être nostalgique !

Je revendique cette attache à la guitare, à la basse, à la batterie, plus par paresse que par snobisme parce que globalement c’est la seule chose que je sais faire ! Donc, je sais que ce disque est atypique parce qu’il ne sonne pas du tout comme ceux qui sortent en ce moment. Ce n’est pas volontaire, je n’ai pas voulu faire un pas de côté, ce sont les autres en fait qui ont décidé de se barrer dans leur planète où ils utilisent des synthés. Et moi je ne peux pas suivre, je n’ai pas la formation, je ne sais pas faire et surtout je ne suis pas sûr de le vouloir, parce que j’ai toujours composé comme ça et je pense que pour moi c’est la bonne méthode pour avancer.

"Désordre" - Alister

Joseph Fisher : Je suis décevant mais je ne connais pas non plus…

C’est pour évoquer le fait qu’Alister est journaliste, tout comme toi. Tu es aussi traducteur, comment appréhendes-tu ces différents types d’écriture ?

Joseph Fisher : En fait c’est la même chose, comme dirait ce bon vieux Clausewitz. Ce n'est qu'un prolongement de la politique par d'autres moyens. Sauf que moi ce n’est pas la guerre que je fais, c’est de l’écriture ! Mais c’est exactement la même mécanique, la même gymnastique, j’écris des livres, je fais des traductions d’articles, de livres, je suis journaliste aussi, j’essaie de l’être en tout cas. J’adore écrire, j’ai toujours aimé ça, je l’ai toujours fait depuis que je suis gamin. C’est vraiment ce que je voulais faire, je ne savais pas vraiment sur quoi et comment, mais il y avait une passion de raconter des histoires et ce pouvoir génial des mots qui, mis bout à bout, donnent une histoire avec un début et une fin.

C’est aussi quelque chose qui vient pour le coup de mon écriture d’auteur s’intéressant à la narration, j’aime bien que mes chansons racontent une histoire. Je suis très admiratif de ceux qui arrivent à chanter des chansons qui sont "sans queue ni tête", je suis un grand fan de Stereolab mais les paroles sont des boucles qui répondent à la musique, qui elle-même est une boucle, il n’y a pas d’histoire. Moi j’essaie de raconter des histoires avec un début, un milieu et une fin, avec une chute parfois. Parce que j’aime cette idée qu’en trois minutes, quatre, cinq grand maximum on a dit ce qu’on avait à dire de la façon la plus simple qui soit.

En parlant de chute, justement à propos d’une de tes chansons qui a une chute magnifique : "Rue des petits hôtels" – Etienne Daho. "Rue de Parme" – Erik Arnaud

Joseph Fisher : Ce sont des chansons sur les rues, et plus particulièrement sur les rues de Paris... Moi j’adore flâner dans les rues de Paris. Ça me fait penser aussi au clip de Gondry sur la chanson "La tour de Pise" de Jean-François Coen, le clip est magnifique avec tous ces néons…

Mais pour le coup cette histoire de la "Rue du Chemin Vert", il y a une part d’auto-fiction. Comme dans toutes les chansons, c’est à la fois une chanson sur la ville, celle où je suis né et où j’ai passé quelques années de ma vie et puis une chanson aussi pour raconter comment parfois l’amour s’en va. Le truc qu’on nous vend, surtout quand on lit des romans, c’est que l’amour ça se termine par une trahison des cris, des larmes... Alors que ça se fait bien souvent la malle sans prévenir, sans un mot, à un moment donné ce n’est juste plus là. Cette chanson raconte l'histoire de ce type qui court après la personne qui l’a aimée, qui est de retour sur les lieux du crime en essayant de la rechercher et qui évidemment n’est plus là... Parce que cette histoire appartient au passé, elle est constitutive de l’histoire d’amour qu’il vit. Je suis toujours fasciné par tous ces gens qui essayent d’y croire encore… Je suis désolé Jacques Brel mais on n’a jamais vu rejaillir le feu d’un ancien volcan qu'on croyait trop vieux, c’est faux ! Quand le volcan est trop vieux, il n'y a plus de feu, y’a des petites flammèches mais c’est fini.

"Carrément rien à branler" – William Lebghil & Katerine

Joseph Fisher : Effectivement c’est pour : "Rien à Foutre". J’ai une immense passion pour Katerine, surtout pour la multiplicité de personnages qu’il a réussi à être et qu’il est depuis bientôt trente ans... Il a quasiment trente ans de carrière derrière lui quand même...

Moi je l’ai connu tout petit, si j’ose dire, j’ai même des flexis de Phillipe Katerine. Je l’ai connu dans un personnage, je ne suis pas certain que ça en était un, celui d’un garçon très maladroit, très malhabile et très timide, ce que je crois qu’il continue d’être fondamentalement, mais il a réussi à se planquer derrière des couches et des tartines de second, de troisième, de vingt-septième degrés. On n’arrive plus à le cerner, c’est je pense la meilleure façon qu’il a trouvé de se protéger. J’ai des souvenirs extrêmement précis de lui à une soirée, j’avais une vingtaine d’années, quelqu’un avait mis un de ses disques et il était parti mais véritablement en courant, c’était impossible pour lui de s’entendre, ça le mettait atrocement mal à l’aise. Je ne crois pas qu’on puisse se détacher de ce mal-être, de ce syndrome de l’imposteur, je fais de la psychologie de bazar mais je reste persuadé que c’est toujours là et que c’est la meilleure manière qu’il a de continuer à faire ce qu’il a envie de faire, c’est-à-dire de la musique et que ça ne soit pas trop pesant.

Katerine est capable de collaborer avec la terre entière, d’Arielle Dombasle à Lomepal. Tu te vois partager ton univers, collaborer avec quelqu’un en particulier ?

Joseph Fisher : Alors oui, je n’ai aucun problème, je suis très partageur justement. Vers 2010, un copain m’avait proposé d’écrire pour une chanteuse française dont je tairais le nom. À l’époque, ça m’avait paru totalement incongru mais avec le recul je me suis dit "mais quel con !" Pas tant pour les revenus SACEM qui seraient peut-être un peu plus intéressants, mais parce que c’est intéressant d’écrire pour les autres en fait.

J’ai commencé à le faire à un moment donné. J’avais rencontré quelqu’un qui chantait, je lui ai écrit plusieurs choses dont "Les Jolies Filles" d’ailleurs, à la base c’était chanté par une femme, et elle n’en a rien fait donc au bout d’un moment je l’ai récupérée. Mais je suis ouvert à tout, aussi bien collaboration, chanter avec d’autres, tout ça… Une fois j’avais chanté "Partageur et Partagé" avec Bruno Ronzani des Lignes Droites, c’est lui qui me l’avait proposé au début. Je me disais : "ah oui c’est compliqué va falloir changer un ou deux moments de la chanson" mais en fait pas du tout, elle pouvait parfaitement être chantée par deux hommes, ça fonctionnait parfaitement !

"Ce grand méchant vous" – Serge Gainsbourg

Joseph Fisher : Ah ! Parce que je ne suis "Pas gentil" ! Ce grand méchant vous bien sûr !

C’est un vrai drame l’histoire de Gainsbourg, parce qu’il commence à décoller au moment où les yéyés arrivent et dégueulassent tout avec leur adaptation pourrave de rock anglais. Il y a des choses admirables par ailleurs mais aussi beaucoup de pas terribles. Il devient un mec culte, pourtant cette période-là est une traversée du désert. Après il renaît sous la forme de Gainsbarre qui, à mon avis, n’est pas la meilleure chose qui lui soit arrivé, ni à la chanson française d’ailleurs...

Pour le coup, j’y réfléchissais l’autre jour, j’ai fait des chansons avec Albane, j’en ai fait aussi avec Camille, pas la chanteuse hein, une amie à moi qui s’appelle Camille. J’ai fait beaucoup de duo et effectivement j’étais un peu dans cette position de grand méchant vous, de grand méchant loup à la Gainsbourg... Mais dans "Pas Gentil", je trouvais ça amusant parce que la vraie personne pas gentille ce n’est pas l’auteur, mais la personne en face. C’est intéressant d’évoquer les failles et le fait qu’on n'est pas toujours irréprochable. Il y a une chanson d’Alain Chamfort que je reprends souvent sur scène qui s’appelle "Si tu t’en allais"… En admettant que je te laisse partir, en admettant que j'ai tremblé en ajustant mon tir...

Je trouve qu’elle est superbe parce que souvent dans les histoires de rupture les mecs souffrent horriblement, c'est le cas de Brel évidemment, ce sont des victimes, etc. Là c'est le mec qui a décidé de pas être sport et qui aimerait bien être cool et sympa mais qui ne va pas y arriver, parce que ça ne passe pas, parce qu'il est en colère, il a envie de se venger et de dire des choses méchantes. C'est quelque chose qu'on connaît tous et c'est intéressant de gratter du côté de ces sentiments qu'on a et qui ne sont pas toujours très très nets, de les coucher sur papier pour en faire de très belles chansons comme a fait, dans ce cas précis, Jacques Duval pour Chamfort.

Du coup un peu de sexe... "Dieu n'a pas trouvé mieux" - Jean-Louis Murat

Joseph Fisher : Pour "Gardez tout" évidemment, ça rejoint ce que l’on disait tout à l'heure : est-ce que ça vaut vraiment le coup de le faire à partir du moment où d'autres l'ont déjà dit et peut-être mieux d'ailleurs ? Je crois que oui, ça vaut le coup ! Chacun a son histoire, sa sensibilité.

Je trouvais ça rigolo, j'aimais bien l’idée de faire une chanson avec des rimes en "-abre". C'est un peu idiot, c'est un peu un défi. J'avais la chute sur la fille qui se "cabre" ensuite je me suis dit : "tiens y'a pas beaucoup de rimes en "-abre" - d'ailleurs il y en a quelques-unes que je tords un peu, "arbre" en particulier - ça m'a forcé à faire une chanson assez courte parce qu'il n'y en a pas des kilomètres, et j'aimais raconter cette histoire qui a une chute. A la base c'était un poème, je n'avais pas de musique et puis le temps venant c'est devenu une chanson.

Et pour parler de sexe, être cru ne me dérange pas. J'essaie de pas être dans la dégueulasserie, c'est-à-dire effectivement que ce soit dans cette chanson-là ou dans "Rien à Foutre", je parle de "salope", de "cul" etc. parce que ça s'imposait. Je ne veux pas tourner autour du pot, alors j'adore par exemple "Les nuits d'une demoiselle" c'est magistral mais ça se termine quand même par "Le jour, je baise, tout simplement". Je ne me perçois pas comme le pornographe du phonographe, comme dirait tonton Georges, mais après tout s'il s'agit de parler de sexe, parlons-en et employons les mots qu'on emploie vraiment ! C'est encore une fois dans ce souci de ne pas transiger, c'est comme ça qu'on en parle, c'est comme ça que moi j'en parle et je ne crois pas être le seul.

Pour la dernière, ça serait un parfait triptyque avec : "Je suis une ville" - Dominique A ; "Petite Ville" - Fontaine Wallace

Joseph Fisher : Parfait avec "Ville Nouvelle" ! C’est une chanson très personnelle qui raconte mon expérience. Il y a aussi une chanson de Mendelson qui s'appelle "Ville Nouvelle" et qui raconte un peu la même chose. Je crois que Pascal Bouaziz a vécu à peu près les mêmes choses que moi mais pas au même endroit.

Moi j'ai grandi dans une ville nouvelle, à Marne-la-Vallée en l'occurrence, j'y suis arrivé à la toute fin du primaire et j'en suis parti le bac en poche. Ce n’est pas mon meilleur souvenir, il y avait quelque chose de très bizarre, à la fois de l'utopie totalement ratée, parce que l'idée c'était quand même de faire en sorte que tu ne sois pas dans une cité dortoir, mais ça a été un gros échec.

L'idée c'est : on va créer des villes et on va les mettre suffisamment loin de Paris pour que ce soit aberrant que les gens aillent à Paris. Mais les gens aiment les choses aberrantes et ils ont continué d’aller à Paris, sauf qu'ils prenaient le RER et que c'était encore plus long. "Urbanistiquement", ce n'était pas très heureux mais socialement ça n'a pas été terrible non plus. Il y a eu des endroits où les greffes ont prises mais aussi un bon nombre où ça n'a pas du tout marché...

Au fond, cette chanson je la relierai presque à une autre chanson de Dominique A "Rendez-nous la Lumière", où il parle d'autoroutes, de France périphérique, de ces zones industrielles dans lesquelles tout est pareil quelle que soit la ville où tu te retrouves. Tu as les mêmes zones, avec les mêmes magasins, les mêmes chaînes de restaurant... C'était un peu ça aussi Marne-la-Vallée : tout se ressemblait.

J'étais dans un endroit où le nom des rues était des plantes : "allée des sorbiers", "square des genévriers", "place des peupliers"… C'est imbitable, entre les sorbiers et les aubépines tu étais infoutu de donner ton chemin à quelqu'un... Alors que bizarrement, la rue Adolphe Tier dans les mairies de droite ou la rue Gagarine dans les ex-mairies communistes, au moins ça a le mérite d'être simple ! Là un quartier entier était sorti et on était infoutu de savoir où les gens habitaient. En plus c'était neutre, gris, beige, sans aucun relief. Il ne se passe rien, il n’y a pas d'histoire, il n'y a pas une plaque pour te dire "le genévrier de la famille des machins", le genévrier n'est pas mort en déportation, le genévrier n'est pas un homme d'État ou une femme politique...

C'était pour moi très étouffant. Ça a été une grande surprise de constater que j'ai un paquet d'amis de cette époque qui eux y sont restés, qui ont continué à y vivre et pour certains d'entre eux y ont eu des enfants. Là où nous avons grandi, leurs enfants vont dans les écoles, dans les collèges dans lesquels eux-même étaient et il y a quelque chose pour moi d’effrayant. Je ne le juge pas hein, s'ils font ça c'est qu'ils s'y sentent très bien mais ce n'était pas du tout du tout mon cas. Je n'avais qu'une seule envie, c'était de partir en courant et c'est ce que j'ai fait...

On retrouve ça dans certaines chansons de Florent Marchet également.

Joseph Fisher : Je me réclamerai plus de Florent Marchet que de Dominique A d’ailleurs. Il écrit très bien mais il me touche beaucoup moins que d’autres artistes français contemporains, comme, - même si ça fait longtemps qu’il ne fait plus de disque et c’est dommage - Ludovic Triaire ou Bertrand Betsch. Ce sont des gens qui m’ont beaucoup influencé, parce qu’il a cette chose simple ces paroles terre à terre parfois, on n’est pas dans l’emphase ça n’en fait pas des caisses mais y’a du fond et ça me touche beaucoup.

Rio Baril de Florent Marchet est pour moi un album immense de bout en bout, et tout ce qu’il a pu faire c’est épatant, il y a vraiment des trucs très très beaux. De la même façon qu’il y a des chansons de Vincent Delerm que je trouve bouleversantes. Je ne sais pas si je peux revendiquer une filiation mais je m’inscris clairement là-dedans. C’est-à-dire des paroles un peu tristes sur un fond de culture anglo-saxonne. Parce que, que ce soit Dominique A, Florent Marchet ou Arnaud Fleurent Didier, c’est ce qui rassemble tous ces gens-là : une culture anglo-saxonne, dont on nous a souvent rebassiné que cette musique là ne collait pas du tout avec le français, que ça ne sonnait pas... Je crois que je suis presque d’accord pour ce qu’on appellera le "rock" - si tant est que ça existe - mais pour ce qui est de la pop...

Il y a vraiment une école qui comme les plus belles écoles n’a jamais eu le sentiment d’en être une, qui s’est créée à tâtons. De gens qui se sont dit : "j’aime bien Brassens, j’aime bien Chamfort mais j’aime bien les Smith, j’aime bien Pavement, et je n’ai pas envie de choisir". Personne ne s’est dit : "je vais faire ce mélange là et ça va donner un truc du feu de dieu". On l’a tous fait, du moins moi je l’ai fait de mon côté, je ne sais pas comment les autres ont fait. Moi je suis loin d’eux, je ne me compare pas. Je n’en suis qu’à mon premier album et j’ai largement passé la date de préemption... Eux ils ont commencé ils avaient 25, 30 ans moi j’arrive avec quinze ans de retard. Je suis très détendu là-dessus, j’ai la quarantaine bien tassée, je sais que je ne vais pas faire carrière et finalement c’est rassurant parce qu’il n’y a pas d’enjeu, je fais d’autres disques, des concerts, je prends ça à la légère, je peux faire ce que je veux...

Tu vois, ce n’est pas vraiment un projet ! Parce qu’il n’y a pas de projection, c’est plus de l’ordre de l’instantané, c’est venu par hasard et en même temps. Je me suis marié, j’ai eu des gamins qui sont grands, je me suis séparé, j’ai rencontré quelqu’un d’autre, je me suis reséparé et j’ai rencontré une autre femme avec laquelle je vis maintenant, je fais des recherches en histoire, je fais des traductions, je sors un livre à la rentrée, je sors un disque, j’ai l’impression d’avoir eu milles vies et en même temps, j’ai toujours l’impression d’être un gros feignant, c’est bizarre.

Rien n’est calculé, ce disque je me serais mieux débrouillé je l’aurai sorti il y a dix ans peut-être, mais il sort maintenant et j’en suis content ! D’autant que les retours que j’ai me donnent beaucoup d’énergie pour aller de l’avant et d’en faire d’autres, parce que j’ai une trentaine de chansons en stock, plus ou moins terminées parce que c’est compliqué la chanson. J’ai un ami qui s’appelle Charles Robinson, qui a écrit d’ailleurs un livre qui s’appelle "Dans les cités", qui, alors qu’on parlait de ça m’a dit un jour : "on ne termine pas une chanson, un livre on l’abandonne"... On peut abandonner une interview aussi !

D’accord mais juste avant une question légère : tu préfères qu’on écoute ton disque en draguant une fille, en se battant avec un salaud ou en buvant des coups entre potes ?

Joseph Fisher : Je déteste la violence donc certainement pas la baston, l’écouter et boire des coups avec des potes, c’est cool !

Retrouvez Joseph Fisher
en Froggy's Session
pour 3 titres en cliquant ici !

 

A lire aussi sur Froggy's Delight :

La chronique de l'album Premières prises de Joseph Fisher
La chronique de l'album Chemin vert de Joseph Fisher

En savoir plus :
Le site officiel de Joseph Fisher
Le Bandcamp de Joseph Fisher
Le Soundcloud de Joseph Fisher
Le Facebook de Joseph Fisher

Crédits photos : Arnaud Kehon (retrouvez toute la série sur Taste Of Indie)


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