"L’Oeil trop ardent en mes jeunes erreurs
Girouettoit, mal cault, a l’impourveue :
Voicy (ô paour d’agreables terreurs)
Mon Basilisque avec sa poingnant’ veue
Perçant Corps, Coeur, & Raison despourveue,
Vint penetrer en l’Ame de mon Ame.
Grand fut le coup, qui sans tranchante lame
Fait, que vivant le Corps, l’Esprit desvie,
Piteuse hostie au conspect de toy, Dame,
Constituée Idole de ma vie. » Maurice Scève (Lyon, vers 1510 - Lyon, après 1562)
Emmanuel Tugny est un homme entier. Homme de lettres, de musiques, de combats politiques. Il se consacre depuis quelques années à un triptyque où il confronte la littérature à sa musique, interpelle l’auditeur sur une poésie, interroge sur le corps (un disque consacré à Armor de Tristan Corbière en 2017), l’âme (ce disque) et le cœur (un prochain disque consacré à Théophile Gautier et à Émaux et camées qui reste à venir).
Poète Lyonnais de la Renaissance, maître dans une ville carrefour matériel et intellectuel, Maurice Scève est d’une totale modernité : le désir, la folie, l’amour sans réponse, l’attente, l’absence, une expression poétique qui n’existe que pour survivre ou sublimer l’autre, des passions qui exhortent l’écriture. La poésie de Scève est une poésie amoureuse. Son seul recueil Délie, objet de plus haute vertu porte sur une femme, Délie, qui serait très probablement la poétesse Pernette du Guillet. Ces poèmes qui lui sont voués formulent la joie, l’espérance et les regrets, les douleurs de l’homme...
C’est cette modernité qu’Emmanuel Tugny met en lumière. Si la langue est âpre et dense la musique l’est tout autant. Il nous plonge dans un environnement sonore, obscurité troublante entêtante et obsédante, atmosphérique, foncièrement lettré et foncièrement musical. Pour se faire il s’accompagne du violoniste Cyrille Fouquer, du vielliste Marc Anthony, du batteur Maël Follézou, de Jean-François Bulart et Sophie David au chant, du poète Christian Prigent.
Les notes s’égrènent, sans être forcément figuralistes, calmes tourbillons. Les mélodies, presque irréelles, semblent monter crescendo comme s’échappant du néant.
Un tombeau après la mort, entre corps et esprit, mythification de l’être aimé, une lumière pour la vie... |