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Interview  juin 2020

A l'occasion de la sortie de son livre, nous avons eu le plaisir de donner une interview à Fanny Chassain-Pichon. C'était l'occasion de s'entretenir avec elle.

Merci de nous laisser la possibilité de vous poser quelques questions autour de l’ouvrage que vous venez de publier aux éditions Passés Composés intitulé De Wagner à Hitler, Portrait en miroir d’une histoire allemande. Pouvez-vous nous présenter à nos lecteurs et nous parler un peu de la genèse de cet ouvrage ?

Fanny Chassain-Pichon : Merci de m’avoir proposé cette interview. Je suis docteur en histoire contemporaine de Paris IV Sorbonne, ma thèse soutenue en 2011 traitait déjà de ce sujet liant Wagner à Hitler. Elle représente en quelque sorte les prémices de ce livre. Après douze années passées dans la recherche sur la Shoah que ce soit au Mémorial de la Shoah, à Yahad-In Unum puis au Cercil d’Orléans, j’ai décidé de prendre un virage, de sortir d’un sujet extrêmement important mais aussi très lourd, et je travaille désormais dans le monde universitaire, pour une grande école du numérique.

En quoi Hitler considérait-il qu’il fallait pratiquer la politique comme un art ?

Fanny Chassain-Pichon : Avant toute chose, il faut se souvenir qu’au départ, la vocation première d’Hitler est de devenir artiste. Très jeune, il se veut artiste-peintre mais son père s’y oppose fermement. A la mort de ce dernier, Hitler va persévérer et tenter les Beaux-Arts. Il manquera à deux reprises le concours d’entrée. La guerre de 1914-1918 éclate et il est bien obligé de renoncer à son rêve, et d’accepter les critiques émises par ses professeurs ou le jury des Beaux-Arts. Après la guerre, rapidement, il va se découvrir des talents d’orateur. Il est écouté, il est respecté. Il décide alors de devenir un homme politique sans jamais cependant, oublier sa vocation première de devenir artiste. Il va rester cependant fasciner par l’art et sa politique est donc à la fois esthétique et artistique.

Comment s’explique l’antisémitisme de Wagner ?

Fanny Chassain-Pichon : Wagner évolue, il faut le rappeler, dans une époque où l’antisémitisme est une mode, il n’est donc pas le seul à l’être. Aussi, les musiciens Juifs (Meyerbeer, Mendelssohn et l’écrivain poète Heine) réussissent au début de sa propre carrière mieux que lui. Les deux premiers, Meyerbeer en particulier, vont essayer de l’aider notamment quand Wagner leur demande des lettres de recommandation pour exercer dans des théâtres en tant que Maître de chapelle. Ce qui est intéressant et très ambivalent chez Wagner, c’est qu’il adore les détester et qu’il déteste les adorer. Il est admiratif de ces musiciens même s’il les critiquera de façon virulente plus tard, dans Le Judaïsme dans la Musique en 1850. Il ne reconnaîtra jamais cette admiration, par jalousie et orgueil, probablement.

Comment s’explique le fait qu’Hitler ait pris pour modèle Wagner ?

Fanny Chassain-Pichon : Le premier opéra auquel Hitler assista accompagné de son père alors qu’il n’avait que 12 ans fut Lohengrin de Wagner. Dès ce moment là, comme Hitler l’écrivit dans Mein Kampf, sa passion était née et, je cite "ne connaissait plus de limites". Les racines de son adoration pour le Maître de Bayreuth sont donc nées dès l’enfance.

La musique, les opéras, le mythe comme vecteur d’idées, les essais politiques et antisémites de Wagner font un tout parfait pour Hitler. Wagner était pour lui vraisemblablement, l’artiste politique complet par excellence.

Dans les parties consacrées à Hitler, vous appuyez souvent vos propos sur des passages de Mein Kampf. Je suppose donc que vous avez dû lire cet ouvrage pour réaliser le vôtre et vous n’êtes pas sans savoir qu’un projet d’une nouvelle publication de cet ouvrage (une version critique faite par des historiens) a fait couler beaucoup d’encre l’année dernière. Cette nouvelle publication devrait voir le jour prochainement. Qu’en pensez-vous ?

Fanny Chassain-Pichon : Je pense que Mein Kampf devrait faire partie du cursus scolaire, partout. Il est très important que la jeune génération lise ce qui y est professé. Il est pour moi toujours effrayant de m’y plonger tant la virulence, la haine de l’autre sont décrites dans ce livre de manière très simple et abordable pour tout un chacun. Il est choquant que Mein Kampf soit encore considéré comme un livre destiné aux fachos, excusez-moi l’expression. Je crois au contraire qu’il faut absolument offrir en France une version armée d’un appareil critique conséquent pour pouvoir expliquer Mein Kampf, comme l’Institut für Zeitgeschichte l’a fait récemment en Allemagne. Il est une condition sine qua none d’offrir ces explications complémentaires pour que justement, tout le monde, les plus jeunes surtout, voient le danger de ce livre, de cette véritable arme de destruction massive.

La partie sur la génèse de Mein Kampf m’a beaucoup intéressé. En quoi l’œuvre de Wagner constitue-t-elle les véritables racines intellectuelles de cet ouvrage ?

Fanny Chassain-Pichon : Je vais répondre brièvement car cette question pour être bien traitée, devrait contenir une grande quantité de pages ! Les racines intellectuelles de Mein Kampf, comme j’ai pu l’écrire dans un article publié en mars 2018, dans la Revue d’Histoire de la Shoah dirigée par le Professeur George Bensoussan, trouvent leur source dans Wagner mais aussi dans les écrits de Joseph Arthur Gobineau et ceux de Houston Stewart Chamberlain. Ce dernier a largement diffusé, avec l’aide des héritiers Wagner et de sa veuve Cosima, les idées antisémites du Maître de Bayreuth longtemps après son décès.

De plus, si Hitler n’a jamais connu Wagner (ce dernier est décédé quelques années avant la naissance du futur Führer), il a fréquenté amicalement les héritiers Wagner dont Chamberlain.

Le livre nous permet aussi de découvrir qu’il exista une amitié particulièrement importante entre Wagner et Friedrich Nietzsche. Que représentait Wagner pour Nietzsche ?

Fanny Chassain-Pichon : Leur première rencontre date de l’automne 1868. L’amitié qui les lie, vient naturellement, Wagner voyant en Nietzsche, un jeune philosophe brillant capable de diffuser ses idées et qui donc, pouvait lui servir. Une amitié intéressée, ce qui n’est pas le cas pour Nietzche. Dès cette première rencontre, Nietzsche est conquis par la vivacité, l’exubérance et l’esprit de Wagner, pour la première fois de sa vie, il se sent en présence du génie.

Nietzche voue une admiration sans bornes à Wagner et écrit même un livre en son honneur comme le raconte Cosima Wagner dans son journal intime : Richard Wagner à Bayreuth, issu de la quatrième des Considérations intempestives, publiée en 1876. N’oublions pas non plus que Nietzsche a aidé largement Wagner à créer sa revue, les Bayreuther Blätter qui paraissent dès 1878 sous la direction de Hans von Wolzogen, même si déjà à l’époque la brouille entre les deux amis a débuté depuis un moment.

Cette amitié s’effrite autour du milieu des années 1870. Pourquoi ?

Fanny Chassain-Pichon : Justement, ce projet commun des Bayreuther Blätter va emporter définitivement l’amitié entre Wagner et Nietzsche même si la rupture s’est faite progressivement dès le début des années 1870. Si Nietzsche a soutenu le projet des Bayreuther Blätter jusqu’au bout, il existe dès le début des années 1870, clairement, des divergences d’opinion entre les deux hommes. Finalement, c’est Wagner qui aura seul son propre journal (les Bayreuther Blätter), lequel continue d’être publié et même prend de l’ampleur après sa mort, au point de devenir l’un des plus frappants témoignages du Sonderweg.

Avant cela, en 1876 déjà, lorsque Nietzsche décide définitivement de rompre son amitié avec Wagner, il dénonce en particulier son antisémitisme, qu’il qualifie d’acerbe et vaniteux. Voici comment il le relate dans l’ouvrage Nietzsche contre Wagner : "Cela remonte déjà à l’été de 1876. Je pris congé de Wagner en pleine période des Festspiele. Je ne supporte rien d’équivoque ; depuis que Wagner était en Allemagne, il condescendait pas à pas à tout ce que je méprise – même à l’antisémitisme… En fait, il était déjà grand temps de me séparer de lui. J’en eus la preuve aussitôt. Wagner, en apparence le grand victorieux, en réalité un décadent décrépit et désespéré, s’effondra soudain irrémédiablement anéanti par la croix chrétienne (…). N’importe, l’événement inattendu me jeta une lumière soudaine sur les lieux que je venais de quitter et j’eus après coup ce frisson que l’on ressent après avoir couru inconsciemment un terrible danger".

Nietzsche dénonce en plus de l’antisémitisme de Wagner, sa decadence et son attirance religieuse. Ainsi, l'"artiste de la décadence", comme il le nomme, rend malade ; il considère Wagner telle une maladie ainsi que sa musique : "L’artiste de la décadence – voilà le mot (…) je suis loin de demeurer spectateur inoffensif, quand ce décadent nous ruine la santé – et, avec la santé, la musique ? D’ailleurs, Wagner est-il un homme ? N’est-il pas plutôt une maladie ? Il rend malade tout ce qu’il touche. Il a rendu la musique malade".

Même au-delà de leur rupture, Nietzsche critiquera Wagner dans Le Cas Wagner, et notamment sa dernière oeuvre Parsifal : "Parsifal est une œuvre de rancune, de vengeance, empoisonneuse secrète qui s’attaque aux principes de la vie, une œuvre mauvaise. Prêcher la chasteté est une œuvre mauvaise. Prêcher la chasteté est une provocation, une incitation à la contre-nature. Je méprise quiconque ne ressent pas Parsifal comme un attentat contre la morale".

Parmi les œuvres de Wagner, l’une d’entre elles semble être fondamentale dans l’action d’Hitler, Rienzi. Pourquoi cette œuvre est-elle si importante pour Hitler ?

Fanny Chassain-Pichon : J’en parle assez longuement dans le livre. D’abord parce que Cola Di Rienzi dont Wagner s’est inspiré pour bâtir son opéra a existé. Rienzi, c’est le tribun du peuple par excellence, habité par une mission et qui n’y renoncera jamais. L’ami de jeunesse d’Hitler, August Kubizek, raconte très bien cette anecdote et la confession que Hitler lui fit après avoir assisté avec lui à une représentation de Rienzi à Linz, particulièrement importante si l’on veut tenter de comprendre le développement personnel du futur dictateur. Dans son anecdote, trop longue pour être indiquée ici dans son intégralité, il est dit qu’Hitler aurait pris conscience de sa mission après la représentation, que "c’est là que tout aurait commencé".

Vous nous apprenez qu’Hitler décida d’organiser sa fin de vie à la façon d’un opéra wagnérien, en trois actes. Pouvez-vous l’expliquer à nos lecteurs ?

Fanny Chassain-Pichon : Oui, c’est une hypothèse que je me suis permise d’émettre, à la toute fin de mon ouvrage. Selon moi, Hitler a cherché une certaine grandiloquence dans la mort – comme Wagner qui avait voulu périr avec ses partitions dans les flammes du Walhalla et qui s’était finalement éteint sur un canapé à Venise – et organisa à sa manière, son propre "Crépuscule des dieux".

Merci pour le temps que vous nous accordez pour répondre à ses quelques questions. J’espère que votre ouvrage, qui vient tout juste de sortir, remportera le succès qu’il mérite.

Fanny Chassain-Pichon : Je vous remercie beaucoup.

 

Jean-Louis Zuccolini         
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