Quelle superbe initiative que celle des éditions Joelle Losfeld de rééditer des ouvrages de Jean Meckert alias Jean Amila ! Jean Meckert fit une entrée fracassante dans le monde des lettres avec les coups, publié en 1940 chez Gallimard, salué à l’époque par Gide, Queneau et bien d’autres. En 1947, il publie Nous avons les mains rouges, ouvrage dans lequel il s’attaque à la résistance et à l’épuration qui a accompagné la Libération. Cet ouvrage vient d’être de nouveau publié aux éditions Joelle Losfeld pour notre plus grand plaisir.
Jean Meckert raconte dans son ouvrage la tragédie des mains rouges, rouges de sang. L’histoire se passe dans les montagnes, autour d’un chef de maquis, M. d’Essartaut, de ses deux jeunes filles, du pasteur Bertod et de quelques camarades qui continuent, deux ans après la libération, une épuration qu’ils pensent juste. Ils n’hésitent pas à s’attaquer aux profiteurs, aux trafiquants et aux joueurs de double jeu.
Lorsque M. Dussartaut meurt au cours d’une expédition punitive, les membres du groupe qui l’accompagnait se dispersent, restant assoiffés de pureté et de justice les amenant à pratiquer le terrorisme et à commettre des meurtres. Leurs pratiques sanglantes les amènent néanmoins à s’interroger pour savoir si le monde contre lequel ils ont combattu n’était pas d’essence plus noble qu’une odieuse démocratie où le mythe de la liberté ne sert que les puissants, les habiles et les crapules.
C’est un ouvrage passionnant que je viens de découvrir, superbement écrit qui nous dresse un portrait réaliste de la France juste après la Seconde Guerre mondiale. Cette période assez trouble de l’histoire est très bien représentée dans l’ouvrage notamment au travers des relations compliquées entre ceux qui se sont affrontés pendant la guerre. On y trouve aussi ceux qui réussissent à se mettre en avant durant cette période alors qu’ils ont pu collaborer pendant la guerre.
L’ouvrage repose sur un texte dense, magnifique mais aussi souvent très dur avec des actions et des comportements des personnages qui pourraient choquer le lecteur, d’où l’importance de replacer ce texte dans son contexte et se souvenir qu’il a été écrit en 1947.
Nous avons les mains rouges est aussi un ouvrage qui amène à la réflexion et c’est bien là pour moi la grande réussite de ce livre. Il permet de s’interroger notamment sur la fin des conflits qui repose sur des dates précises, ici 1945, le 8 mai pour l’Europe alors qu’en fait la France vit encore dans les meurtres, les actes terroristes, les règlements de compte encore des années après. Et évidemment se pose alors la question de savoir ce que l’on peut penser de ses actes, certains semblants presque justifiés voire légitimés. La France de l’après-guerre a connu ce que l’on appela l’épuration spontanée (tonte des femmes qu’on accusait d’avoir eu des relations avec les Allemands, assassinats, exécution) qui fut partiellement remplacée par une épuration légale (avec notamment le jugement des responsables politiques comme le Maréchal Pétain).
Passionnant document sur un mouvement d’histoire trouble et peu visité, l’ouvrage de Jean Meckert est dans le même mouvement profondément humain. Il reste un superbe témoignage de notre Histoire que je vous conseille vivement de lire. |