Sous-titré "une histoire d’amour", Gangrène ne laisse planer aucun mystère sur son sujet. Quoique… Quel est donc le lien entre l’amour et la gangrène, tue l’amour par excellence ? Son auteur, L.-J. Wagner, s’autoproclame "réfractaire à tout ce qui est fleur bleue et dégoulinant de bons sentiments".
"Jusqu’ici, je n’avais rien attrapé de grave. Tout au plus une angine d’une semaine baptisée Thibaud ou une grippe d’un mois, tenace, qui s’appelait Slimane. Le reste du temps, seulement des éternuements fugaces et violents, et ce petit rhume des foins, Romain, qui revenait me chatouiller quelques jours à chaque printemps".
Le cynisme en bandoulière et une lucidité désabusée en étendard, Chloé raconte qu’elle ne s’attache jamais aux hommes qu’elle rencontre. Non merci. Pas de ça chez elle. Elle ne rentre pas dans les cases sociales et affiche fièrement son désamour du sentimental. Elle ne se laisse pas berner par les mamours et ne souffre pas, jamais. Observant son entourage tomber dans les mêmes panneaux de l’attachement déçu et des larmoiements inéluctables.
Quand je commençais à me poser de sérieuses questions sur l’issue de Chloé, croisant les doigts pour que le roman ne ressemble pas aux feux de l’amour à la plage et bien bam. Elle rencontre Colin. THE cliché of romantique comédy. Et forcément, violons et tralalis, elle succombe à ce dont elle avait juré ne jamais goûter : la romance kitch, cette gangrène qui nécrose tous ses préjugés et lime ses principes de non attachement.
Alors bon… Perso je ne suis pas fan de ces loving storys, il ne m’est jamais divertissant de constater que même des cas dits "désespérés" finissent par rencontrer leur âme sœur, alors que mon cas n’est pas brillant… Jalousie persuadée que l’amour a été créé pour vendre des chocolats en février. Alors oui, j’ai failli lâcher Gangrène d’un méprisant "pfff, tous les mêmes".
Mais L.-J. Wagner a une plume, un sacré talent d’écriture, une manière de poser les mots en une onctueuse prose, faisant de la lecture un massage cérébral tout à fait agréable. Et les pages défilent sans qu’on n’y prenne garde. Je ne me suis pas vue dévorer le passage Bridget Jaune, et c’est bel et bien stupéfaite que j’ai atterri au beau milieu du Beyrouth cardiaque de Chloé.
Un retournement de situation osé pour un carnage sentimental. Loin de moi l’idée de vous spoiler la suite, sachez toutefois que Chloé est le dindon de la farce, et qu’elle n’apprécie pas tellement d’avoir le cœur piétiné par Colin, instrument de cet entourage qu’elle prétendait être ses amis. Miséricorde ! Diantre, pas de ça chez eux, nulle compassion, nulle clémence, Chloé file à l’autre bout du monde cuver son chagrin, sa honte et ruminer sa vengeance. Sera-t-elle à la hauteur du préjudice ?
Un auteur audacieux pour une aventure acerbe, entre cynisme et amoralité, une plume intense à la fluidité d’un sorbet glacé dans nos chaleurs estivales. Une romance atypique dans un siècle où les principes du seizième siècle ont la peau dure. Corrosif. Ames sensibles s’abstenir. |