Comédie dramatique écrite et mise en scène par Bernard Bloch, avec Bernard Bloch, Etienne Coquereau, Hayet Darwich, Rania El Chanati, Camille Grandville, Daniel Kenigsberg, Muranyi Kovacs, Jonathan Mallard, Zohar Wexler et le musicien Arnaud Petit ou Yannick Lestra.
Dans "La Situation", sous-titrée "Jérusalem-Portraits Sensibles", Bernard Bloch poursuit un travail sur la Palestine commencé par un livre "10 jours en terre ceinte" et développé au théâtre avec "Le Voyage de D. Cholb, penser contre soi-même". Partant de la même conviction qu'Albert Memmi, qui répétait inlassablement qu'il n'y a au monde aucune "Terre Saine", Bernard Bloch n'a pas voulu faire entendre ni confronter des discours, mais faire entendre des paroles. Des dizaines de paroles exposant la complexité d'une situation où politique, géopolitique et faits religieux se sont mêlés inextricablement au service du pire. Il faut préciser d'emblée que l'action du drame plein de larmes, de sang et de sueur qui est décrit ici l'est sans parti pris ni propos outrageusement passionnés, on pourrait presque dire sans élever les voix ni faire d'effets de manche,et se déroule dans un passé très récent. Le président Trump n'est pas encore passé par là et si Jérusalem est le lieu où sont rassemblés des êtres et des populations aux destins contraires et suscite des espoirs et des désespoirs fort contrastés, elle n'a pas encore changé de statut, n'est pas encore devenue la Capitale de l'État d'Israël. Dans "La Situation", cette dernière péripétie, que d'aucuns considèrent comme un événement fondamental, source de nouvelles tensions communautaires, n'est même pas évoquée par un seul personnage parmi les dizaines qui témoignent. Ils sont huit comédiens (Etienne Coquereau, Hayet Darwich, Rania El Chanati, Camille Grandville, Daniel Kenigsberg, Muranyi Kovacs, Jonathan Maillard et Zohar Wexler), aussi convaincus que convaincants et de toutes origines, à interpréter les gens, généralement de bonnes volontés, que Bernard Bloch a interrogés à Jérusalem. Dans une première partie, celle où la raison gagne sur la déraison, il part d'une école, quasi unique à Jérusalem, où les enfants, juifs et arabes, apprennent à la fois l'arabe et l'hébreu, et découvrent ensemble ce qu'ils sont ou ne sont pas. Cette belle utopie, on la retrouve chez bien des intervenants qui suivent ces premiers témoignages. On est surpris d'entendre dans des paroles parfois totalement contradictoires le même amour pour cette ville dont ils sont tous les habitants. Dans la seconde partie, on notera plus volontiers les lignes de fracture et l'on retrouvera, hélas, le marasme dans lequel flotte la ville. Les colères et les haines sont toujours là, surtout quand règnent de criantes iniquités dont les check-point ne sont que la face immergée. Il faudra les involontaires chants des oiseaux enfermés dans des cages placées sur quelques-unes des chaises qui peuplent une scène, occupée également par une grande tente blanche pour apporter un peu de gaité dans cet univers brutal. Dans cette ultime partie, le fouillis de chaises a fait place à une "forêt" bien rangée, comme si les paroles et les arguments allaient devenir plus mécaniques, plus simplistes. Bernard Bloch a beau faire appel à Fassbinder et à l'idée qu'il se fait du bonheur, il sait que la route sera longue pour que ce vocable prenne sens pour tout le monde. La "Situation" est un constat qui cherche à ne pas admettre la victoire des forces rétrogrades qui la considèrent pourtant définitive. Ce travail puissant et sans concession entame peut-être une vraie résistance à bas bruit dont on espère que les fruits seront féconds bien plus rapidement qu'on ne le pense. |