Réalisé par Lina Soualem. France/Suisse/Algérie/Qatar. Documentaire. 1h12 (Sortie 13 octobre 2021).
Pour son premier long-métrage documentaire, Lina Soualem a décidé de filmer ses grands-parents paternels, Aïcha et Mabrouk, au moment où, après 62 ans de mariage, ils ont décidé de se séparer...
Une séparation de quelques pâtés de maison, mais suffisamment pour que la volubile Aïcha s'éloigne du taiseux Mabrouk.
La scène se passe à Thiers, Puy-de-Dôme, France. Comme de nombreux Algériens qui ont fait souche dans la région, Mabrouk était venu travailler dans l'industrie de la coutellerie, dont Thiers était jadis la capitale.
Dans ce film riche en émotions, la jeune cinéaste reconstitue à la fois une partie de sa saga familiale et s'attache à décrire comment les Algériens, à l'époque de la colonisation, ont constitué la main d'oeuvre bon marché d'un secteur qui, peu à peu, s'est réduit à une peau de chagrin.
C'est peu dire que les personnages sont attachants et que connaître leur histoire, savoir pourquoi ils sont là et bien là depuis plus d'un demi-siècle dans cette France dite profonde, c'est faire voler en éclats bien des préjugés nauséabonds véhiculés par des propagateurs de haine.
"Leur Algérie" de Lina Soualem permet de donner la parole à des personnages silencieux, des acteurs et des témoins d'une histoire déjà partiellement oublié avec ces usines fermées, ces matériels en train d'y rouiller avant d'être un jour physiquement détruits.
Ruse de cette histoire retrouvée, c'est la "célébrité" de leur fils, Zinedine Soualem, bien connu des cinéphiles et acteur fétiche de Cédric Klapisch, qui est à l'origine de cette renaissance.
Quand on compare leurs photos, on voit que le fils ressemble énormément à son père. Ce n'est sans doute pas un hasard également, si, projection moderne de ce père mutique, il a commencé comme mime...
Lina Soualem se focalise sur ses grands-parents mais elle n'oublie pas que sans ce statut d'artiste, son père aurait été happé par cette communauté algérienne loin de l'Algérie et quoi que certains en disent, intégrée dans le prolétariat français des années soixante au point de disparaître avec lui dans l'oubli éternel quelques décennies plus tard quand les industries traditionnelles auront définitivement périclité.
C'est cette position singulière, celle d'être fille d'artiste qui conduit Lina à être cinéaste et incidemment à avoir une mère palestinienne. Ainsi, paradoxalement, c'est parce qu'elle est issue du cosmopolitisme tant décrié aujourd'hui, qu'elle est pleinement autorisée à parler de ses grands parents migrants et prolétaires à Thiers.
"Leur Algérie" de Lina Soualem est une première œuvre ouverte, chaleureuse et dont le discours fait du bien. La parole réjouissante d'Aïcha, sa grand-mère, vaut à elle seule le déplacement. |