Festival de l'Alligator, enfin ses nuits quoi. Un truc qui sonne blues bien sûr. Ouep, vous savez, l'imagerie traditionnelle: Blues, Missisipi, maison à perrons et bayous plein d'alligators. Alors c'est bien du blues dont on parle. "La première chaise" comme disait Lennon.
Pourquoi première chaise? J'sais pas trop. Peut être car le blues est l'origine de toute la musique populaire d'aujourd'hui, ou pour sa simplicité, la pureté de ses sentiments, l'état brut de sa fureur. Bref, si c'est Lennon qui l'a dit... Alors on se rend dans cette salle si particulière de la Maroquinerie, un amphithéâtre au plafond bas, lieu trop démocratique pour une musique qui se veut maîtresse vaudou, la musique de la transe. De toute manière il y a peu de monde dans la salle: Parents avec leurs enfants, grands-pères solitaires et quelques rares jeunes sont assis sur les marches attendant les concerts.
C'est dans ces conditions qu'est arrivé Dick Annegarn.
L'homme a l'age de son public, cheveux poivre et sel, petites lunettes... Sauf que lui a des Doc Marten's rouge, une guitare dans les mains et c'est lui l'homme de scène. Etant le premier intervenant de ce festival, c'est lui qui va donner le ton. Et le ton n'est pas vraiment blues, un peu mais pas trop.
Attention, le type a une sacrée voix, de celle qui s'adresse au ciel directement; mais son blues est un peu trop en français, langue qui colle peu avec l'incantation mystique. Alors le discours se fera surtout entre les chansons, et tout y passe: les caricatures de Mahomet, les origines du jazz, la condition de l'Afrique du nord, l'intégrisme et Christophe (le chanteur !?). Le tout avec un humour cinglant.
Mais l'homme est un vrai érudit, il sait se faire intense quand le ton n'est plus à rire.
Quand il s'agit de toucher et faire pleurer, sa voix de vieux blanc se fait plus caverneuse et un véritable frisson se déplace dans la salle.
Puis il y eu cette magnifique phrase sur le blues lui même "Le blanc ne voit pas se que le bleu devine". Mais ce n'est pas l'esprit de la majorité du répertoire de Annegarn. Le reste est surtout amusant, sorte de Brassens au puissant jeu de guitare. Il fera sa reprise de "Geaorgia On My Mind" rebaptisé "Pierre" pour des questions de droit d'auteur, puis un magique "Baby PLease Don't Go". Comme les groupes se suivent et ne se ressemblent pas, Baptist Generals envahissent la scène.
Le public très réactif envahit la fosse... mais assis. Réaction qui a l'air d'étonner un groupe que rien ne devrait plus étonner vu le degré d'alcoolémie qui s'en dégage. Puis il y a leur look franchement étonnant.
Personnellement, l'allure du bassiste m'a plus marqué que leur musique. Si vous voulez, c'était une sorte de colosse barbu armé d'une de ces grosses guitares à cinq cordes de mariachi.
Avec un tel homme des cavernes, on est en droit de s'attendre à un truc un peu énervé... mais c'est un tort. Les Baptist General, énième groupe de chanson pop mal dans sa peau, avec des rythmiques qui progressent lentement et des arrangements un peu superflus.
On aurait dû s'en douter en fait : le chanteur avait des restes de vernis à ongles noir!
Mais rendons à César ce qui est à César: ce groupe est un OVNI. Je ne sais pas si c'est un compliment mais c'est vrai.
Puis il y eut ces deux coups de génie: une chanson menaçante à la terrible sonorité mexicaine, ainsi que cette superbe chanson composée d'une simple rythmique et parlant d'un enterrement au Texas.
Morceau qui a sauvé leur prestation et qui nous met les deux pattes dans le blues profond.
Le Blues qui a récupéré ses lettres de noblesse en fin de soirée. L'alligator c'est lui : Louisiana Red.
Il n'y a que deux choses à s'avoir sur lui: il est noir et est né en 1932. Alors imaginez un vieux noir de 74 ans avec un costume bleu et de petites lunettes noires... c'est l'esprit même du blues.
Bien sûr son âge l'handicapait légèrement. Il a fait tomber son capodastre de nombreuse foi, était parfois à côté du rythme, a fait des impros trop longues et a complètement raté "I Be's Troubled" dans sa version Muddy Waters. Mais à part cela, le vieux alligator est malicieux, il a l'art et la manière de nous balader, nous faire tourner en bourrique avec sa guitare. Et il est le seul à pouvoir chanter avec cette voix a la fois rauque et cristalline. Bref, un vrai Bluesman. Les morceau joués étaient beaucoup de standard de Muddy Waters.
Tout d'abord seul puis avec son groupe, Louisiane Red prenait un malin plaisir à nous faire chavirer, à faire des cabrioles dangereuse pour son âge, et surtout, faire tourner la musique.
Puis il y a eu cet hommage à son frère où les notes se firent plus lentes, la voix plus tendue... la chanson qui rappelle que le blues se nourrit de la souffrance. Alors moi, en seule réponse à ce monde si épais et désespéré, je fumais.
Geste qui m'a valu une remarque de la part d'une de ces personnes qui ont un physique à être prof et à lire les Inrocks: "C'est pas sympa de lui fumer sous le nez, tu sais il est vieux, il mange bio, va pas le tuer, tu fumerais sous le nez de Sarkozy je te dirai rien, où butte le carrément Sarkozy, mais lui c'est pas très sympa en tout cas...".
Fanatisme Blues ou véritable Démagogie? On s'en fout, laissons parler le fanatique et fumons en pensant à nos frères perdus. |