Comédie dramatique écrite et mise en scène par Franck Harscouët, avec Armelle Deutsch, Sophie-Anne Lecesne, Philippe d’Avilla et Laura Elko.
Voilà une plongée dans l'univers psychiatrique des années 1950 qui ne laissera personne indifférent ou indemne si l'on emploie la formule consacrée. Dans "Je m'appelle Adèle Bloom", Franck Harscouët a voulu aborder à son tour cette période sombre de la psychiatrie nord-américaine où des "savants fous" avaient fait de la lobotomie l'alpha et l'oméga de leur pratique. C'est en compagnie de la jeune postière, Adèle Bloom (Armelle Deutsch), qui arrive à l'hôpital psychiatrique de Providence, près d'Halifax (Canada) pour y être internée à la demande de sa mère, que l'on va être immergé dans un univers qui a plus à voir avec le cadre d'un film d'horreur qu'avec un lieu où l'on soigne. On pense très vite à quelques films emblématiques ("La Fosse au serpents" d'Anatole Litvak et bien entendu, "Shutter Island" de Martin Scorsese) Car c'est à un récit immersif que l'on est convié. Qu'on soit homme ou femme, on ne pourra que s'identifier à Adèle, qui, peu à peu, découvre les pratiques du Dr Walter Freeman (Philippe d'Avila), adepte forcené du bistouri pour pénétrer dans les cerveaux féminins. Franck Harscouët a créé des personnages très forts pour entourer Adèle dans son enfer. A commencer par une infirmière, Miss Wilbord, garde chiourme ayant tout pouvoir sur les internées. On ne peut s'empêcher de l'assimiler à ces gardiennes de camps nazis ou soviétiques.
C'est Anne-Sophie Lecesne qui l'incarne. Elle sera aussi Poppie, l'alter ego d'Adèle, celle qui lui révèle comment fonctionne Providence et dont Rosemary Kennedy (Laura Elko), maillon faible de la future famille présidentielle, est l'interné la plus célèbre. Frank Harscouët en fait une pianiste remarquable qui manipule une poupée à son image. Peu à peu, Adèle, qui aujourd'hui, serait traité pour de simples tocs, s'enfonce dans la folie à mesure où elle veut échapper à sa condition de recluse. Armelle Deutsch est impressionnante dans un rôle éprouvant. Sa partenaire principale, Anne-Sophie Lecesne, qui joue quatre rôles dans la pièce, est elle aussi hors du commun. "Je m'appelle Adèle Bloom" vaut pour cette distribution de haut-vol et pour ce qu'elle explique du traitement inhumain que subissaient les "malades" à l'heure où la société, en pleine croissance, pensait que tout pouvait se résoudre par l'administration de thérapies nouvelles. La foi générale était dans un progrès constant, capable de surmonter tous les obstacles. Mais le temps passant, l'idée que tous les pathologies étaient guérissables s'est estompée. La souffrance de ces femmes-cobayes a été prise ne compte et la pratique des électrochocs réduite, on l'espère, à des cas désespérés. "Je m'appelle Adèle Bloom" tient en haleine, montre combien la société d'après guerre fut violente et contradictoire. Frank Harscouët dirige ses comédiennes avec beaucoup d'empathie, conscient de la violence des rôles proposées.
Armelle Deutsch joue Adèle Bloom avec une telle conviction que l'on craint parfois pour sa santé mentale. En toute logique, son rôle devrait lui valoir un Molière. En tout cas, cette pièce singulière hantera longtemps ceux qui l'auront vu. |