Une ancienne légende raconte que les malades psychiatriques internés pensent que les fous sont enfermés dehors…
Vu de l'extérieur, Sébastien Tellier est un grand corps abstrait, fou et fougueux, malade et sain d'esprit. Un OVNI alunissant sur la terre, capable d'imposer à sa maison de disques, Record Makers, un album à la Willie Nelson, fait de reprises de chansons des deux premiers albums, L'incroyable vérité et Politics.
Quelle force l'anime, sur quelle matière travaille-t-il, à quoi se dope-t-il pour obtenir cette créativité ? Personne ne sait.
Sessions, paru dans un premier temps sur Itunes, laisse pantois. L'art du cover et des reprises se perdant quelque peu ces derniers temps, entendre les ré-enregistrements de "Black douleur" en version dépouillée piano/voix séduit le cœur et l'esprit. Exit la grandiloquence et les productions mariachis de Politics, Sébastien Tellier décide avec ce troisième opus de revenir à l'essentiel, la mélodie et la pureté, enlever son masque de Lorenzaccio, ôter sa parka grandguignolesque pour flirter avec l'élévation spirituelle.
Elévation spirituelle…Sessions s'apparente par moment à une musique de secte, pas sectaire. Comme une messe de cérémonie du Temple solaire, païens assis autour du feu pour célébrer la beauté des nuages sur "Bye Bye", méconnaissable avec ses claviers timides. Le temps d'un inédit mou du genou, "Classic", Tellier calme le jeu avec ses nappes de claviers à la manière de Virgin Suicides, avant de s'embarquer sur un frêle esquif, une reprise de Christophe ("Dolce Vita") tout en retenue. En français s'il vous plait, de brillante manière.
L'œuvre de Tellier est un séquoia aux innombrables couches, tronc d'arbre massif vieux de plusieurs millénaires. Photosynthèse de diverses musiques, de Air à Robert. Wyatt inspire Tellier par sa science des claviers (omniprésents sur ces dix titres), sa tristesse joyeuse si belle sur "Rock Bottom", et ses sons si triturés ("Broadway", deuxième titre de Sessions, moment de grâce).
Puis vient le temps des cerises, le moment éternel. La lente montée des accords précieux, comme un shoot onirique, jusqu'à l'explosion, "La Ritournelle est belle", seule au piano. La sonde Voyager , partie dans l'espace voila 15 ans peut-être, aurait sûrement dû emporter ce morceau avec elle, histoire de coloniser les autres planètes. Comme une carte de visite de ce que l'humanité faisait de mieux. Avec "Fantino" et ses accords grattés sur une guitare de verre, en Face B pour achever la conversion extra-planétaire. Loin d'être une parenthèse, Sessions pourrait se résumer comme un point final. Le dernier bras d'honneur de Tellier à l'industrie du disque. Ils sont trop rares les artistes à avoir une vision, des illuminations. Sortir un album à la Willie Nelson , repéré dans une série TV sur TF1 en train d'enregistrer ses morceaux pour une émission de radio….Une folie, une extravagance dont seul Tellier pouvait avoir le secret.
Sessions est un instant de bonheur dans la tempête, loin des remous, perdu sur une île déserte, en attendant les secours. Les secours viendront un jour, un équipage viendra, barbes poilues et cheveux gras, nous faire redécouvrir cette musique belle comme un ballon qui s'envole. |