Réalisé par Damien Chazelle. Etats-Unis. Comédie. 3h09 (Sortie 18 janvier 2023). Avec Brad Pitt, Margot Robbie, Diego Calva, Jean Smart, Jovan Adepo, Li Jun Li, P.J. Byrne, Lukas Haas et Olivia Hamilton.
Le petit prodige franco-américain, déjà réalisateur de "Whiplash" et de "La La Land" s'attaque, pour son troisième film, à un gros morceau : l'histoire du passage du muet au parlant à Hollywood.
On se souvient que c'est là le thème de la plus célèbre comédie musicale hollywoodienne, "Singing in the rain" (1952) de Stanley Donen et Gene Kelly.
Ceux qui connaissent un peu l'histoire du cinéma savent aussi que raconter Hollywood n'est pas une réelle garantie de succès, surtout si l'on veut, comme le dit la légende, faire "bigger than life". Sauf exception, les résultats mitigés du dernier film de Quentin Tarentino, "Il était une fois Hollywood" le confirment, les films sur Hollywood sont souvent des "bides".
Qu'en sera-t-il de la superproduction réalisée par l'ambitieux Damien Chazelle. L'histoire du cinéma muet et du sort tragique de ses vieilles gloires qui ne passèrent pas le cap de la parole intéressera-t-il un cercle de spectateurs dépassant les cinéphiles ?
Honnêtement, c'est difficile à prévoir ou à prédire. Pour juger de la qualité d'un film de ce calibre, il faut en général attendre une dizaine d'années et voir s'il générera d'autres films sur des sujets voisins et si les historiens du septième art le considèreront comme un grand film et pas un gros film marquant son époque.
Tourné avec beaucoup de moyens, "Babylon" de Damien Chazelle en donnera à voir à ceux qui auront été le voir. Dans la première partie, ils auront une reconstitution somptueuse des temps héroïques hollywoodiens, dans la seconde, ils suivront les destins amers, nostalgiques ou tragiques des principaux protagonistes, dans la plus pure tradition du drame hollywoodien.
Comme pour "The Artist", il faudra tout de même prévenir que Damien Chazelle triche un peu sur les dates. Il annonce, dès le début du générique, qu'on est en 1926. Or, ce qu'il montre pendant plus d'une heure, c'est Hollywood dix ans avant, vers 1916.
Car, quand Margot Robbie tourne son premier film, le lendemain de son arrivée en Californie, elle se retrouve dans la campagne où l'on recherche la lumière du jour et pas dans un studio où la question n'a plus de sens.
Dans le film de Chazelle, les réalisateurs sont les uns sur les autres. Il n'y a pas encore de plateaux et détail qui tue, Margot Robbie est filmée par une réalisatrice, chose qu'on sait désormais possible jusqu'en 1920, date à laquelle il ne reste plus de femmes cinéastes, à l'exception de Loïs Weber, mais celle-ci a assez de prestige pour ne pas être obligée de participer à une production courante comme celle-là
Cela dit, la période des pionniers est plus amusante, plus riche en anecdotes que la période où les grandes compagnies ont rationalisé les tournages. Finalement, le "wonder boy" a raison de tricher...
"Babylon" de Damien Chazelle est plein de bruit et de fureur, de soirées orgiaques, d'excès divers et variés. Tout est vu par les yeux de Manny Torres (Diego Calva), un jeune Mexicain ambitieux qui vient en Californie pour trouver un travail et finira éphémère directeur de studio.
Les personnages sont très typés sans que cela soit gênant et Brad Pitt en Jack Conrad, mélange de Douglas Fairbanks et de John Gilbert, fournit une prestation époustouflante.
De la caricature de la star du muet en Ray Ban au roi du muet déchu, il parcourt le film avec élégance et désespoir. Margot Robbie en Nellie La Roy est archi-sexy et totalement décadente, avec quelque chose du destin de la Sharon Stone de "Casino". L'outsider du trio, Diego Calva, est à leur niveau, ce qui laisse à supposer qu'il est bien parti pour devenir lui aussi une énorme star.
Chazelle rajoute au trio un jazzman noir (Jovan Adepo) et une mystérieuse Chinoise (Li Jun Li) pour faire plus cosmopolite, mais leurs rôles restent assez convenus. Manque peut-être à l'appel un personnage de réalisateur génial et condamné lui aussi par le parlant, qui aurait pu être un mélange de D.W. Griffith et d'Eric von Stroheim.
Reste que le film est suffisamment riche pour durer plus de trois heures et justifier amplement l'achat d'une place dans un cinéma avec écran XXL. "Babylon" de Damien Chazelle marquera sans doute de son empreinte l'année cinématographique 2023 et son succès conditionnera la carrière de son réalisateur, futur Spielberg ou futur Cimino selon le jugement d'airain du Box-Office. |