Spectacle de Nicolas Bouchaud, d'après Serge Daney mis en scène par Eric Didry avec Nicolas Bouchaud.
Nicolas Bouchaud joue "La Loi du marcheur" depuis 2010 et n'est pas près de s'arrêter. Devenu un acteur incontournable du théâtre français, quand il interprète Serge Daney (1944-1992), ce critique de cinéma qui aimait marcher, voir des films, écrire dessus et en parler, il est en quelque sorte en récréation entre deux créations et ramène à la mémoire de tous un temps qui s'éloigne.
Un temps où vivait quelqu'un d'une intelligence aussi prodigieuse que Serge Daney et dans lequel cette intelligence pouvait s'éteindre à cause d'une maladie alors mortelle. Certes, il mettait sa formidable capacité d'analyse dans le domaine du divertissement, cette société du spectacle conceptualisée par Guy Debord et sur laquelle, lui, regardeur d'images filmées ou télévisées, lui, grand amateur de tennis, avait ajouté des commentaires d'une justesse sans appel.
Sur une scène quasi vide, où l'on remarque à l'arrière une toile blanche qui peut servir d'écran, Nicolas Bouchaud restitue à la perfection la perfection de Serge Daney.
Dès qu'il commence à jouer le critique des Cahiers du Cinéma devenu le fin chroniqueur ciné-télé de Libération, après s'être échauffé de quelques mimiques, Bouchaud a l'air totalement heureux de dire un texte qui, à l'époque de sa diffusion , avait scotché tous ceux qui l'avaient entendu autant que vu. Il faut dire que Serge Daney était interrogé par Régis Debray, alors en pleine médiologie.
Daney s'auto-définissait devant le compagnon de Che Guevara comme un "ciné-fils". Il affirmait que son film préféré restait "Rio Bravo". Ce que "La Loi du marcheur" n'ignore pas puisque Bouchaud ne va cesser, pendant une heure et demie, de s'amuser avec le chef d'œuvre d'Howard Hawks. On le verra même danser des scènes du film, chanter "My rifle, my pony and me", essayer, tel le Morel de l'invention, de pénétrer dans le film.
La mise en scène d'Eric Didry est sans artifice, sans effet au point que tout semble sortir d'un Nicolas Bouchaud en roue libre. Les deux compères, aidée à la direction artistique par Véronique Timsit, réussissent à illustre un beau paradoxe : avec un texte télé qui parle uniquement de cinéma, ils créent vraiment un spectacle de pur théâtre.
Qu'on vienne en sachant qui est Serge Daney, ou en n'en connaissant rien du tout, qu'on soit cinéphile ou simple amateur de ciné, chacun
prendra une leçon de cinéma correspondant à son niveau dans la matière.
Evidemment , Daney parle d'un monde d'il y a plus de trente ans. Un monde sans DVD, réseaux sociaux, téléphones portables, plateformes. Un monde où PPDA est tout-puissant. Un monde où commenter toutes les images est devenu impossible, où les Cahiers du Cinéma si chers à Daney se survivent sans vraie ligne directrice, où les films s'enchaînent avec des chefs-d'œuvre à n'en plus finir. La cinéphilie n'est plus un sport de combat : on peut tout voir, tout avoir en coffrets DVD.
Homme d'un autre temps, Daney reste stimulant pour ceux qui veulent encore penser le monde dans lequel ils vivent et Nicolas Bouchaud l'incarne avec amour et humour. |