Réalisé par Pierre Barouh. Documentaire musical. 1 heure. Sortie le 10 juillet 2024. Avec Pierre Barouh, Baden Powell, Joao da Baiana, Maria Bethania, Paulinho da Viola, Pixinguinha.
Coutumier des chemins de traverse, faux-marginal, vedette buissonnière, Pierre Barouh aura été un homme heureux, et comme les vrais apôtres du bonheur, il aura tout fait pour le partager avec ceux qui auront croisé sa route , tous ceux qui, par hasard, auront entendu sa voix amicale.
Dans une époque formatée où plus grand-chose d'inattendu n'arrive aux hommes de bonnes volontés, il s'impose de revenir cinquante ou soixante ans en arrière, aux alentours de 1966-1970, aux alentours de ces années où quelques hommes comme Pierre Barouh ont semé des petits cailloux indestructibles au moyen de notes et de mots.
Bien sûr, certains se faisaient contestataires ou révolutionnaires, gourous ou chefs de file. D'autres préféraient faire entrer dans les têtes des chants apparemment inoffensifs, des chabadabadas ou des lalalas, des trucs si simples qu'ils marqueront à jamais les cerveaux élus . Des chants de pure résistance parce que de pure beauté.
Pierre Barouh est l'un de ses hommes qui méritent le Panthéon de la chansonnette. Dans ce court, trop court film où il se balade parmi les chanteurs brésiliens, il immortalise quelques-uns de leurs standards. Avec à ses côtés, le grand, l'immense Baden Powell ou la lumineuse Maria Bethania. On chuchote, on fredonne avec eux. On ne peut pas s'empêcher d'être emporté par le flot des rythmes cariocas.
On sait, enfin on devrait savoir, que le Brésil de cette fin des années 1960 est encore bien loin d'être le pays de Lula. Les militaires sont bien accrochés au pouvoir et ces guitares, pleines de mélodies où l'on se préserve de cet environnement sombre, sont la seule lueur d'espoir d'un peuple qui ne demande pourtant qu'à danser et à aimer en toute liberté.
Barouh lui-même chante la samba, celle du titre, la "Samba Saravah". Sans doute un de ses meilleurs textes, sur ce ton de quelqu'un qui n'a pas l'air de chanter, trop modeste pour se comparer à ses génies brésiliens que sa caméra enregistre avec avidité :
Être heureux, c'est plus ou moins ce qu'on cherche
J'aime rire, chanter et je n'empêche
Pas les gens qui sont bien d'être joyeux
Pourtant s'il est une samba sans tristesse
C'est un vin qui ne donne pas l'ivresse
Un vin qui ne donne pas l'ivresse
Non, ce n'est pas pas la samba que je veux
J'en connais que la chanson incommode
D'autres pour qui ce n'est rien qu'une mode
D'autres qui en profitent sans l'aimer
Moi je l'aime et j'ai parcouru le monde
En cherchant ses racines vagabondes
Aujourd'hui pour trouver les plus profondes
C'est la samba chanson qu'il faut chante
Il ne faut pas passer à côté de Saravah de Pierre Barouh. Personne ne regrette jamais d'avoir pris pour guide ce touche-à-tout accueillant. Disparu en 2016, il reste un passeur pour les curieux qui cherchent les bonnes adresses d'une époque jamais révolue. Et son film est un document inestimable, un médicament radical pour oublier un instant toutes les horreurs du monde contemporain.