Il est des dandys éternels, sur lesquels le rimmel n'a pas d'emprise. Des vieux de la vieille, le genre qui écume les bitumes à la recherche. Du temps perdu, de l'idéal et des poudres pas chères.
Tant de temps, justement, que Jacko n'avait pas montré son nez, quatre ans précisément dans l'ombre, avaient suivi French Paradox, album oublié trop vite. Et puis finalement le retour de Jacno , le plus lettré d'entre tous les punks, revient et reste un Stinky Toy des plus délectables en 2006.
Album lumineux, libidineux que cet opus. Intemporel pour le poète Jacno, comme si le passé n'avait jamais existé, d'Eli Medeiros aux Stinky Stoys, les 80' années sombres et productions infâmes... Table rase sur le passé rasé de près. Tant de temps oscille entre ombres et lumières, avec un premier titre des plus ravageurs, synthèse pop-symphonique sur fond de guitares saturées.
"Tous ces mots-là", comme Jacno les écrit, fait immédiatement penser à la grande période Bowienne , celle de Hunky Dory et des pianos léchant la corde des guitares fuzz. "Et si c'est non, c'est oui quand même", chantent Jacno et François Cactus (sublime guest), et il est évidemment dur de résister à la tentation ; sombrer dans les méandres de Jacno, à flanc de falaise entre Mick Ronson et Boris Vian. Vian, justement…Qui d'autres que Jacno peut tant se revendiquer autant du poète en 2006 ?
Le sport, ultime bras d'honneur à la société molle du genou, et son pamphlet anti-sport sur paroles génialissimes ("Le sport c'est de la merde/Ne faites pas respirez de sport à son enfant/ Promiscuité et fausse camaraderie/Le sport provoque l'impuissance"). Dérisoire et nécessaire, "Le Sport" de Jacno c'est un peu les résidus de la rébellion après la guerre, l'entrave au consensus, sans doute la meilleure réponse au "Chirac en prison" des Wampas. En 2006 Jacno crache sur vos tombes et le fait savoir, en sortant de ses sentiers balisés, au gré des rencontres. Comme sur "Tant de temps", chanson éponyme porté par le souffle de Daho et les guitares de Paul Personne. Autres rescapés des naufrages. Le phare Jacno continue de briller. Ziggy Stardust et ses araignées volantes ne sont jamais loin sur cette perle d'album. "Comme la vodka et l'orange, nos corps se mélangent", chante l'ancien Stinky Toy, entre dédain et passion. Classe ultime d'un génie qui en a rien à foutre. De son époque et des autres. Les cons. Oui. Un artiste peut encore surprendre et s'étonner passé la quarantaine, comme sur "T'es mon château" , en piano solo rempli de spleen bancal, à écouter seul au fond de la nuit cigare au bec, casque sur la tête. Les fantômes passent en visite, silencieux, attestant de la mutation de Jacno, voix nicotinée en diable.
Les refrains se suivent, comme celui de "L'homme de l'ombre" , et son texte fait d'éternel et d'immortalité ou "Les amants les clients", directement empruntée à Satie et son classicisme onirique. Jacko reste un story teller de premier plan, un songwriter de classe. Un écrivain en somme, parisien et capital n'hésitant plus à mixer les styles, tribal "Si je te quitte" rappelant les productions Tricatel et leurs productions electro-cheaps.
Plus que les guitares, ce sont avant tout les claviers qui frappent et résonnent sur l'ensemble de l'album, comme si Darc avait serré la main à Nicky Hopkins, quelque part à Pigalle, année 00.
L'homme est vampire, suçant la moelle de ses influences pour en recracher l'œuvre qu'est la sienne. Le sang coule, les idoles rock&roll tombent les unes après les autres. Jacno n'a pas d'age, et se réveille la nuit, en quête de victimes belles comme le jour qui tombe. Evitons l'exorcisme. |