Les vacances scolaires sont aussi l’occasion de se cultiver un peu au travers d’ouvrages d’histoire sur des sujets que je ne connais pas bien. Les éditions Passés Composés m’ont gentiment permis de le faire grâce à cet ouvrage sorti début octobre consacré à l’immense historien et intellectuel arabe qu’est Ibn Khaldûn. Pour nous permettre d’accéder à l’anthologie de cet historien arabe, il fallait forcément proposer à son meilleur spécialiste de présenter cet ouvrage tout en l’annotant, ce qui a été fait par Gabriel Martinez-Gros, que l’on suit chez Froggy's Delight quand on chronique des ouvrages sur le Moyen-Age.
Pour Ibn Khaldûn, immense historien arabe du XIVe siècle, l’État "civilise" au plein sens du terme, il crée une société civile, pacifique et désarmée. L’État trace une limite claire entre la société sédentaire, qui vit sous sa protection, et la société bédouine, tribale, qu’il ne contrôle pas. Mais il a besoin des deux mondes, puisqu’il tire du monde tribal la violence nécessaire pour imposer sa paix dans le monde sédentaire, où il puise ses richesses à travers l’impôt. Si on donne à ces termes, "sédentaire" et "bédouin", leur véritable sens, c’est-à-dire "sous le contrôle d’un État" et "hors du contrôle d’un État", la pertinence de la théorie peut être étendue très au-delà de l’Islam et du Moyen Âge.
Pour comprendre cette fascinante théorie utile à notre temps, Gabriel Martinez-Gros, avec toute la finesse et l’érudition qui lui sont coutumières, a sélectionné et traduit de larges extraits de l’œuvre d’Ibn Khaldûn, qu’il a également, grâce à son long compagnonnage avec l’auteur, commenté pour mieux en cerner la richesse et la portée.
L’ouvrage, dépassant légèrement les 300 pages est plutôt dense, nécessitant de prendre son temps pour le lire et l’apprécier. Il s’ouvre sur une large introduction, prenant une cinquantaine de pages, retraçant dans un premier temps la vie d’Ibn Khaldûn, sa théorie et les points principaux de celle-ci. Elle revient aussi sur la civilisation urbaine dans sa théorie puis sur l’occident qui semble échapper à cette théorie.
L’ouvrage est ensuite construit autour de six parties principales et d’une septième constituée de textes tirés de l’œuvre de l’historien arabe. La première partie s’interroge sur le sens de lecture de la Muqaddima, le livre de l’historien arabe, notamment au travers des modifications à la fin du 14ème siècle.
Un deuxième temps est consacré à l’asabiya qui désigne la cohabitation sociale en tant que dynamique de solidarité, au cœur de la réflexion d’Ibn Khaldûn. L’ouvrage se poursuit autour de la notion d’Etat et aux fondations des dynasties avec l’importance de la religion. On y voit comment s’installe naturellement au cœur du pouvoir royal la recherche de la gloire, du luxe et de la tranquillité. Il y est aussi question du djihad et du califat mais aussi de l’impôt.
La partie suivante est consacrée aux villes, à ses liens avec l’Etat, symboles d’un enracinement d’une dynastie. On voit comment elles se bâtissent et s’organisent, les hiérarchies qui se mettent en place et le rôle des marchés dans ces centres urbains.
La partie suivante revient sur deux termes importants de la théorie de l’historien arabe, celui de subsistance et celui de profit. C’est sûrement la partie qui m’a le plus intéressé. La partie suivante porte sur la science, au cœur aussi des réflexions d’Ibn Khaldûn. On trouve enfin à la fin de l’ouvrage un glossaire des cinq mots essentiels de la pensée d’Ibn Khaldûn.
Avec cet ouvrage, Gabriel Martinez-Gros a cherche à rendre l’approche des textes d’Ibn Khaldûn aussi aisée que possible pour ceux qui ne sont pas forcément familier de l’islam. Le pari est réussi et j’en suis l’exemple parfait car il a réussi à me donner l’envie de poursuivre la lecture de son ouvrage, prenant soin de ne pas trop surcharger l’ouvrage de termes compliqués et de noms de tribus ou de dynasties qui sont nombreuses dans l’histoire de l’islam. Il nous montre au final l’importance de la pensée de cet historien arabe du Moyen-Âge, qui nous permet de comprendre à la fois le passé et le futur. |