Un peu moins de trente minutes. C'est le temps qu'il faut à l'album de Cecilia :: Eyes pour établir que le shoegazing, avec ses nappes de guitares planantes et ses guitaristes hypnotisées par leurs lacets, ses roulements de batteries et ses basses sautillantes, n'est pas mort et peut encore faire du bruit.
Le groupe répète dans un grenier. Si l'album n'en a pas le son, il en a le titre, et l'esprit. Les 3'25 du premier morceau, "My clothes don't fit me no more", sont là pour l'établir. La batterie s'y acharne en un break perpétuel qui n'est pas sans rappeler les roulements du "Grasshoper" de Ride, illustre prédécesseur shoegazer ; les guitares s'élancent à toute vitesse, déboulent, d'accords pleins de puissance, matraqués, en solos mélangés, superposés. On se croirait revenu à la grande époque - l'époque héroïque. Il y a dans ces échos de grenier quelque chose de très suave, d'adolescent - au sens auquel ce mot peut évoquer un certain charme quelque peu suranné.
Côté son, avec bon goût et une certaine habileté, le groupe parvient à évoquer, comme un vieux souvenir auquel on reste attaché, le meilleur de la seconde moitié des années 80, le début des années 90, les Cure en tête, sans jamais se perdre dans le simple collage, l'imitation décalée. Le son reste moderne, l'esprit original. Adolescence, encore, pour beaucoup de ceux qui écouteront certainement Cecilia :: Eyes - mais pas de ces adolescences bruyantes qui ne trouvent à s'exprimer qu'en martyrisant des instruments à corde bon marché ; plutôt une adolescence au passé, sortie des cartons où on l'avait rangée.
Ces bases posées, les compositions suivantes, un peu moins endiablées, se permettent un peu plus de subtilité, s'accordent le temps de quelques alternances mélodieuses, de passages plus doux, d'un crescendo du plus bel effet, malgré le format concis auquel Cecilia :: Eyes ne déroge jamais véritablement. Le groupe illustre ainsi que le rock peut se faire léger sans se taire - la maturité venue. Le temps fort de l'album est à ce titre certainement "The airscrew", titre aérien dont les deux parties totalisent à peine plus de dix minutes, qui prend le temps de cultiver l'apesanteur avant de se composer, à petites touches, une densité.
Puis, comme on refermerait le carton des vieux souvenirs, "One million whales" propose une ballade douce-amère où plane une voix féminine, celle de Johanne Lovera, special guest inspirée, dont la légèreté s'accorde si bien avec celle du groupe, dont la voix particulière répond aux guitares tranchantes.
Le shoegazing est aujourd'hui quelque peu poussiéreux, il faut l'admettre. Mais avec un disque de si bon goût, Cecilia :: Eyes réussi son pari : sortir du grenier où l'on avait failli l'oublier cette adolescence du post-rock dans laquelle on peut toujours se reconnaître avec plaisir et nostalgie, et nous permettre, avec le recul des années passées à mûrir, de l'apprécier d'une façon nouvelle. |