Spectacle écrit et mis en scène de Xavier Jaillard avec Antonio Labati.
Quand on évoque un seul-en-scène, on a toujours trop tendance à imaginer qu'il va s'agir d'un spectacle comique, surtout quand il n'est pas clairement l'adaptation d'un texte célèbre de la littéraire ou du théâtre. Avec pour titre "J'ai mal au siècle", certains vont donc s'imaginer que le spectacle de Xavier Jaillard est un texte comique qui va persifler sur une époque propice à rire jaune ou à des lancées d'acide d'humour noir.
D'autant que pour beaucoup, le nom de Xavier Jaillard est synonyme d'humour. En effet, il a appris son métier de comédien en compagnie d'un maître du genre, Francis Blanche, et a contribué à rafraîchir la mémoire d'Alphonse Allais en réveillant l'Académie Allais avec, par exemple, la production d'ouvrages comme le "Dictionnaire ouvert jusqu'à 22 heures". Mais, parallèlement, Xavier Jaillard peut être aussi défini comme un moraliste. Moliérisé pour la version théâtrale qu'il a tirée de "La Vie devant soi" de Romain Gary, il a aussi travaillé sur Dino Buzzati, adaptant l'inadaptable "Désert des Tartares" et s'appropriant avec un grand succès le "K", une réflexion émouvante sur l'existence humaine. Dans "Après l'incendie", il a aussi fait converser Saint-Paul et Sénèque dans une fantaisie inspirée où les deux hommes s'expliquent sur "ce que croire veut dire".
Si "J'ai mal au siècle" est un texte qui n'a pas pour but de faire rire, il n'a pas non plus l'ambition d'ennuyer en faisant penser. Xavier Jaillard a mis la barre très haut dans ce qu'il a écrit puisqu'il demande à son spectateur de se laisser guider par les mots de son interprète, Antonio Labati sans pour cela en être l'otage.
Composé de deux parties, précédées par une petite vidéo qui lance son personnage dans ce qu'il va vivre, "J'ai mal au siècle" est un spectacle dans lequel un comédien et un texte sont d'emblée imbriqués l'un l'autre comme cela n'arrive que rarement dans une œuvre inédite où l'acteur tâtonne, doit trouver le "niveau" du texte, et découvrir comment son auditoire va le recevoir, le comprendre.
En général, la présence d'une vidéo liminaire ne présage rien de bon. Ici, au contraire, elle permet de se familiariser avec un acteur inconnu, qui ne va pas le rester longtemps. Quand il "sort" de la vidéo, pour devenir dans la première partie, le personnage de "Dialogue avec une image", il capte immédiatement l'attention du public. Il ne l'a perdra plus.
Augustin est un homme sans qualité, un fonctionnaire dont l'univers kafkaïen s'est modernisé. Le rond-de-cuir est derrière un ordinateur. Ses coudes s'appuient sur des manches de lustrine invisibles. Il manipule une souris et regarde des images colorées mais le numérique ne le sauve pas de son monde sans vie.
Dans la seconde partie de "J'ai mal au siècle", "Isabelle est morte", Antonio Labati change de peau : il quitte le rôle d'Augustin et devient son avocat, chargé de le défendre pour un crime qu'il aurait pu commettre.
Que va-t-il sortir de tout ça ? Xavier Jaillard aime jouer des situations, il n'aime pas s'embarquer dans une inutile confusion, faire régner le compliqué pour le compliqué. Si l'on reste attentif jusqu'au bout, ce qui est probable car l'écriture brillante de Xavier Jaillard est maîtrisée de A à Z, on comprendra qu'on n'a pas perdu son temps, que ce qu'on a vu et vécu a du sens. Pendant plus d'une heure, avec Xavier Jaillard, on a cherché comment fonctionnait un homme lambda et le résultat qu'il propose fera consensus chez ceux qui, quelle que soit l'époque, auront toujours mal à leur siècle.
Au bout du compte : un beau texte qu'on a hâte de pouvoir lire pour n'en rien perdre, un acteur qu'on reverra forcément et une soirée à la gloire d'un théâtre épuré et puissant.
|